Après les vies perdues, les richesses envolées - elles aussi prévisibles, chiffrées, ignorées. Au-delà du bilan humain incommensurable, l'inadéquation démocratique a généré une destruction économique massive, créant ce que les économistes commencent à appeler les "PIB fantômes" - la richesse qui aurait pu être créée si les décisions appropriées avaient été prises à temps.
a. 15% de croissance mondiale perdue
Les travaux de l'économiste Kenneth Arrow (Prix Nobel 1972) sur les "sentiers de croissance non empruntés" permettent de quantifier ces pertes colossales. En compilant les études sectorielles sur les impacts économiques des patterns mortels analysés, une équipe du NBER (National Bureau of Economic Research) dirigée par Daron Acemoglu estime en 2024 que l'inadéquation démocratique a amputé la croissance mondiale cumulée de 15% depuis 1970.
L'équivalent de 1 000 villes comme New York
Le calcul est vertigineux : le PIB mondial 2024 s'élève à 105,000 milliards de dollars. Avec 15% de croissance supplémentaire, il atteindrait 120,000 milliards - soit 15,000 milliards de richesse annuelle évaporée dans l'inaction. Sur 50 ans, en tenant compte de la composition des intérêts, nous parlons de 450,000 milliards de dollars de richesse non créée - l'équivalent de construire 1,000 villes comme New York ou de financer l'éducation gratuite pour toute l'humanité pendant deux siècles.
La décomposition sectorielle révèle les mécanismes de cette destruction. Le tabac seul représente 2% de PIB mondial perdu annuellement : coûts de santé (500 milliards), perte de productivité (800 milliards), morts prématurées d'actifs (700 milliards). L'amiante a coûté 300 milliards rien qu'en désamiantage, sans compter les vies productives perdues. La crise financière a détruit 22,000 milliards de richesse instantanée, mais surtout généré une "décennie perdue" de croissance atone - manque à gagner estimé à 50,000 milliards sur 2008-2018.
b. Innovation étouffée, potentiel gâché
Plus grave que les pertes comptables, c'est l'innovation systématiquement étouffée qui ampute notre futur. Le cas des énergies renouvelables illustre ce gâchis. Les cellules photovoltaïques, inventées en 1954 aux Bell Labs, auraient pu connaître leur courbe d'apprentissage 30 ans plus tôt sans la capture régulatoire par les industries fossiles. Les calculs du MIT Energy Initiative montrent que ce retard représente 2,000 milliards de surinvestissement dans les infrastructures fossiles devenues "stranded assets" (actifs échoués).
Paradoxalement, certains régimes autoritaires ont parfois mieux su saisir ces opportunités technologiques. La Chine, malgré tous ses défauts documentés, investit massivement dans les renouvelables depuis 2010 - 500 milliards de dollars qui en font le leader mondial du solaire et de l'éolien. Cette comparaison révèle que le problème n'est pas la démocratie en soi, mais sa configuration institutionnelle défaillante qui permet la capture par les intérêts fossiles. Une démocratie fonctionnelle aurait dû être pionnière de cette transition, pas suivre péniblement des régimes autoritaires.
"Nous avons les meilleurs cerveaux de notre génération qui optimisent des algorithmes publicitaires au lieu de résoudre le changement climatique."
— Dr. Mariana Mazzucato, économiste de l'innovation à UCL
Le Dr. Mariana Mazzucato, économiste de l'innovation à UCL, documente dans The Value of Everything (2023) comment la financiarisation de l'économie étouffe l'innovation productive. "Nous avons les meilleurs cerveaux de notre génération qui optimisent des algorithmes publicitaires au lieu de résoudre le changement climatique", déplore-t-elle. Son équipe calcule que la mauvaise allocation des talents due aux distorsions financières ampute le potentiel d'innovation de 40%.
Un exemple concret : Jennifer Doudna, Prix Nobel pour CRISPR, témoigne que ses recherches fondamentales ont failli être abandonnées trois fois faute de financements dans les années 1990-2000. "L'obsession du retour sur investissement rapide a failli tuer une technologie qui pourrait sauver des millions de vies", explique-t-elle. Combien de CRISPR potentiels ont été étouffés dans l'œuf par la myopie institutionnelle?
Un exemple concret : Jennifer Doudna, Prix Nobel pour CRISPR, témoigne que ses recherches fondamentales ont failli être abandonnées trois fois faute de financements dans les années 1990-2000. "L'obsession du retour sur investissement rapide a failli tuer une technologie qui pourrait sauver des millions de vies", explique-t-elle. Combien de CRISPR potentiels ont été étouffés dans l'œuf par la myopie institutionnelle?
c. Coûts exponentiels reportés
Le pattern le plus pervers est le report systématique des coûts dans le futur, les transformant d'arithmétiques en exponentiels. Le climat illustre parfaitement cette dynamique mortifère. Le rapport Stern de 2006 chiffrait le coût de l'action immédiate à 1% du PIB mondial - environ 500 milliards annuels. En 2024, le même Stern actualise : "L'inaction nous a conduits à un coût de 10-15% du PIB pour le même résultat. Nous avons transformé un investissement gérable en fardeau écrasant."
Cette explosion des coûts reportés suit une logique implacable. Plus on attend, plus les dégâts s'accumulent, plus les mesures doivent être drastiques, plus la résistance politique augmente. C'est la "tragédie de l'horizon" théorisée par Mark Carney, ex-gouverneur de la Banque d'Angleterre : les coûts futurs actualisés sont systématiquement sous-évalués par des institutions focalisées sur le court terme.
pour les infrastructures vieillissantes dans la prochaine décennie
Les chiffres donnent le tournis. L'adaptation au changement climatique coûtera 300 milliards annuels en 2030, 500 milliards en 2040, 1,000 milliards en 2050 selon le PNUE. La dépollution des sites contaminés, reportée depuis des décennies, représente un passif de 5,000 milliards rien qu'en Europe. Le vieillissement des infrastructures négligées - ponts, barrages, centrales - nécessitera 10,000 milliards d'investissements d'urgence dans la prochaine décennie.