Glossaire Complet

Définition : Extension de l'analyse heideggérienne de l'être-au-monde (In-der-Welt-sein) vers le domaine de l'action collective et démocratique. Cette notion phénoménologique désigne la condition fondamentale selon laquelle l'existence humaine se déploie toujours déjà dans un monde partagé, où la perception et l'action politiques s'enracinent dans l'expérience corporelle et intersubjective.

Contexte philosophique : Développée dans les années 1940-1950, cette notion s'inscrit dans la critique merleau-pontyenne du marxisme orthodoxe et de l'existentialisme sartrien. Elle émerge du contexte de l'après-guerre et des désillusions face au stalinisme.

Application au manifeste : L'être-au-monde politique fonde la critique de la démocratie épisodique en affirmant que l'engagement politique procède de notre incarnation quotidienne plutôt que de moments électoraux isolés. Il justifie philosophiquement la nécessité d'une souveraineté quotidienne.

Définition : Analyse des structures intentionnelles et perceptives qui caractérisent l'expérience démocratique moderne. Ce concept articule la méthode phénoménologique husserlienne avec une réflexion sur la crise de légitimité des systèmes politiques contemporains.

Dimension épistémologique : Le doute démocratique ne constitue pas un scepticisme destructeur mais une interrogation constitutive de la démocratie elle-même. La démocratie authentique accueille cette finitude plutôt que de la dénier par des idéologies totalisantes.

Pertinence contemporaine : Cette conception inspire la "démocratie sauvage" de Claude Lefort et les analyses de la crise de la représentation politique. Elle éclaire le paradoxe d'une démocratie qui doit intégrer structurellement l'incertitude tout en produisant des décisions collectives.

Définition : Phase du capitalisme où les rapports sociaux sont médiatisés par des images et où "tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation". Dans cette société, le spectacle devient "le contraire du dialogue".

Trois formes du spectaculaire :

• Spectaculaire diffus : sociétés occidentales basées sur la consommation
• Spectaculaire concentré : régimes totalitaires avec culte du chef
• Spectaculaire intégré : synthèse contemporaine des deux formes

Application démocratique : La démocratie spectaculaire ne permet plus l'expérience pratique du dialogue démocratique. Les algorithmes de recommandation politique créent des bulles informationnelles qui amplifient cette spectacularisation.

Définition : Usage d'éléments esthétiques et politiques préexistants dans une construction supérieure du milieu, permettant de révéler les mécanismes d'aliénation en retournant les discours dominants contre eux-mêmes.

Pratiques contemporaines : Détournement numérique (mèmes politiques), culture jam, réappropriation des codes institutionnels par les mouvements sociaux. Ces techniques visent à démasquer les fausses évidences du discours démocratique spectaculaire.

Définition : Structure temporelle et épistémologique révélant l'impossibilité de toute perspective totalisante sur le réel social. Le labyrinthe fonctionne comme métaphore de la complexité politique irréductible.

Application politique : Critique des démocraties représentatives comme "labyrinthes de bronze" qui égarent les citoyens dans des procédures infinies. L'Aleph borgésien illustre l'impossible totalisation démocratique : aucun lieu institutionnel ne peut représenter exhaustivement la diversité sociale.

Définition technique : Organisations blockchain basées sur des réseaux peer-to-peer, caractérisées par une gestion décentralisée et des règles automatisées encodées dans des smart contracts. Leur gouvernance fonctionne de manière autonome via des mécanismes on-chain et off-chain.

Mécanismes clés :

• Proposition par les membres détenteurs de tokens
• Discussion communautaire transparente
• Vote on-chain pondéré par les tokens de gouvernance
• Exécution automatique des décisions

Exemples concrets : Compound (DeFi), Uniswap (échange décentralisé), L'Oréal NYX (engagement communautaire). Études révèlent une concentration du pouvoir de vote : 57.86% chez Compound détenu par 10 votants.

Définition mathématique : Mécanisme où les individus paient pour des votes selon une fonction quadratique : le coût de n votes = n². Le coût marginal du nième vote = 2n-1.

Théorie économique : Développé par Lalley et Weyl, ce système permet d'exprimer l'intensité des préférences tout en évitant la domination par les plus riches. Il optimise théoriquement le bien-être social.

Implémentations :

• Gitcoin Grants : financement de biens publics blockchain
• vTaiwan : consultations citoyennes sur politiques technologiques
• Partis Pirates européens via LiquidFeedback

Limites identifiées : Complexité cognitive, risques de collusion, problème des inégalités de richesse initiales.

Définition : Système hybride permettant soit le vote direct, soit la délégation révocable du vote à un proxy de confiance. Caractéristiques : délégation transitive, révocation instantanée, spécialisation thématique possible.

Modèle théorique : Favorise un "modèle de sélection" où les citoyens choisissent des proxies intrinsèquement motivés plutôt qu'un "modèle de sanction" nécessitant surveillance constante.

Expériences empiriques :

• Parti Pirates Allemagne : utilisation de LiquidFeedback depuis 2006
• Études de laboratoire révèlent une sur-délégation systématique (2-3x l'équilibre théorique)
• Performance mitigée par rapport au vote majoritaire simple

Définition : Système de signature numérique sans clé (Keyless Signature Infrastructure) utilisé par l'Estonie depuis 2008 pour garantir l'intégrité des données gouvernementales.

Applications : Registres de santé, foncier, commercial, judiciaire, Gazette nationale. Controverse académique sur sa nature réellement "blockchain".

Fonction principale : Garantie d'intégrité et d'immuabilité plutôt que décentralisation complète. Permet la détection de toute modification non autorisée.

Définition : Conception critique de la démocratie représentative où la participation citoyenne se limite à des moments ponctuels d'expression politique, principalement les élections périodiques.

Origine théorique : Benjamin Constant (1819) sur la différence entre "liberté des Anciens" et "liberté des Modernes". Le citoyen moderne n'exerce sa souveraineté qu'"à époques fixes, mais rares".

Manifestations : Abstention croissante entre élections, désengagement civique, sentiment d'impuissance politique. Les dispositifs participatifs tentent de combler ces "vides temporels".

Définition : Sentiment durable d'éloignement voire de rejet éprouvé par un citoyen vis-à-vis du système politique. Se manifeste par cinq dimensions : impuissance, absurdité, anormalité, isolement et déception politiques.

Indicateurs empiriques :

• Confiance dans l'Assemblée nationale : 24%
• Confiance dans les partis politiques : 16%
• Abstention record aux élections intermédiaires

Solutions proposées : Démocratie délibérative par tirage au sort (Van Reybrouck), civic tech, réengagement par l'action locale.

Définition : Application du principe de subsidiarité à la distribution des compétences cognitives et décisionnelles. Les décisions doivent être prises au niveau où se trouvent les connaissances les plus pertinentes.

Fondements : Principe européen de subsidiarité + théories de l'intelligence distribuée (Hutchins). Différence avec la simple délégation : le niveau inférieur assume la responsabilité du résultat final.

Applications : Assemblées citoyennes spécialisées, reconnaissance de l'expertise d'usage, décentralisation cognitive dans les DAOs.

Définition : Exercice continu et direct du pouvoir politique par les citoyens dans leur vie ordinaire, dépassant la limitation temporelle de la démocratie représentative.

Mécanismes : Participation politique permanente via plateformes numériques, intégration de la délibération aux pratiques sociales quotidiennes, micro-décisions locales fréquentes.

Tensions : Opposition entre idéal participatif et risques de "fatigue démocratique", questions de gouvernabilité et d'efficacité décisionnelle.

Définition : Niveau de finesse et de précision dans l'organisation des processus de décision collective, permettant une participation différenciée selon enjeux, compétences et préférences.

Dimensions :

• Temporelle : fréquence et durée des consultations
• Thématique : décomposition en sous-questions votables
• Géographique : décisions multi-niveaux territoriaux

Défis : Cohérence inter-décisions, surcharge cognitive, risques de manipulation par décomposition biaisée.

Profil : Philosophe politique (né 1979), Professeur à Georgetown University. Théoricien de l'épistocracie.

Concept clé - Épistocracie : Système où le pouvoir de vote est conditionné à la compétence politique. Division des citoyens en Hobbits (désintéressés), Hooligans (biaisés), Vulcains (rationnels).

Œuvre principale : Against Democracy (2016) - Critique de la démocratie de masse et proposition de modèles épistocratiques (vote plural, loterie d'enfranchissement, veto épistocratique).

Profil : Professeure de Science Politique à Yale University, spécialiste de l'intelligence collective démocratique.

Concept clé - Intelligence collective démocratique : La diversité cognitive des groupes produit de meilleures décisions que l'expertise homogène. Justification épistémique de la démocratie inclusive.

Œuvre principale : Democratic Reason (2013) - Démonstration de la supériorité épistémique de la décision collective diversifiée.

Profil : Mathématicienne et data scientist (née 1972), critique des algorithmes destructeurs.

Concept clé - Weapons of Math Destruction (WMD) : Algorithmes caractérisés par l'opacité, l'échelle massive et la nocivité sociale. Ils renforcent les inégalités existantes.

Œuvre principale : Weapons of Math Destruction (2016) - Analyse des dangers démocratiques des algorithmes dans le recrutement, la justice, l'éducation.

Profil : Psychologue politique à Emory University, spécialiste du rôle des émotions en politique.

Concept clé - Cerveau politique : Les décisions politiques sont fondamentalement émotionnelles, non rationnelles. L'émotion l'emporte systématiquement sur la raison.

Œuvre principale : The Political Brain (2007) - Analyse neurologique des processus de décision politique et stratégies de communication émotionnelle.

Profil : Psychologue israélo-américain (1934-2024), Prix Nobel d'Économie 2002.

Concepts clés :

• Système 1 (rapide, intuitif) vs Système 2 (lent, délibératif)
• Biais cognitifs : disponibilité, confirmation, aversion aux pertes
• WYSIATI : "What You See Is All There Is"

Œuvre principale : Thinking, Fast and Slow (2011) - Synthèse de 40 ans de recherche sur les deux systèmes de pensée et leurs implications.

Profil : Philosophe suédois (né 1973), théoricien des risques existentiels et de la superintelligence.

Concepts clés :

• Risque existentiel : menaces pouvant causer l'extinction humaine
• Superintelligence : IA dépassant largement les capacités humaines
• Singleton : gouvernance mondiale unifiée

Œuvre principale : Superintelligence (2014) - Analyse des chemins vers l'IA avancée et stratégies d'alignement avec les valeurs humaines.

Profil : Informaticien britannique (né 1980), co-fondateur d'Ethereum, créateur de Polkadot.

Contributions majeures :

• Ethereum Yellow Paper : première spécification formelle d'un protocole blockchain
• Langage Solidity pour smart contracts
• Concept de "Web3" : vision d'un internet décentralisé
• Architecture multi-chaîne Polkadot pour l'interopérabilité

Période : 1989-2017 (suspendu)

Mécanisme : Cycle annuel avec assemblées régionales (17) et thématiques (6), Conseil du Budget Participatif (68 membres élus), allocation directe de 10-20% du budget municipal.

Résultats mesurés :

• Couverture eau/assainissement : 75% → 98% (1988-1997)
• Participation citoyenne : pic de 50 000 participants (2004)
• Taux d'exécution : 97% des projets (1992-1999)

Diffusion : Plus de 11 500 processus de budget participatif mondialement. Modèle promu par Banque mondiale et Forum social mondial.

Déploiement : Depuis 1997

Technologies clés :

• X-Road : interconnexion de 2 300+ services publics/privés
• Identité numérique obligatoire depuis 2002
• KSI blockchain pour intégrité des données
• e-Residency pour non-résidents

Statistiques :

• 99% des services publics en ligne
• 95% des déclarations fiscales numériques
• 30% de vote électronique
• 820 années de travail économisées annuellement

Convention constitutionnelle (2012-2014) : 66 citoyens + 33 politiciens
Assemblée citoyenne (2016-2018) : 99 citoyens tirés au sort

Impact référendaire :

• Mariage égalitaire (2015) : recommandation 79% → référendum 61% OUI
• Avortement (2018) : recommandation 64% → référendum 66.4% OUI

Méthodologie : Sélection représentative, auditions d'experts contradictoires, délibération en petits groupes, votes secrets sur recommandations.

Lancement : 2014 (post-mouvement Sunflower)

Technologie centrale : Pol.is - plateforme de vote sans réponses directes, visualisation des clusters d'opinion, encouragement algorithmique du consensus.

Cas traités : 26 au total (2015-2018)

• Régulation Uber : consensus sur sécurité/assurance
• Vente d'alcool en ligne : déblocage après 4 ans
• Taux de succès revendiqué : 80%

Évolution : Déclin post-2018, transition vers Join Platform (5 millions d'utilisateurs).