Augustin, 44 ans, gère des boutiques de vape à Strasbourg depuis dix ans. Ce matin d'octobre 2025, il observe par sa vitrine une scène devenue routinière : un adolescent d'à peine 15 ans sort de l'épicerie d'en face avec une puff flambant neuve. La loi du 25 février 2025 interdit pourtant la vente de ces cigarettes électroniques jetables (loi n°2025-175).
Huit mois après l'entrée en vigueur, la Répression des fraudes n'a contrôlé qu'environ 160 établissements et constaté que 13 continuaient de proposer des puffs malgré l'interdiction. Un taux d'infraction qui peut sembler faible (~8%), mais qui masque une réalité plus troublante : sur les dizaines de milliers de points de vente potentiels en France (buralistes, épiceries, stations-service, boutiques spécialisées), seule une infime fraction a fait l'objet de contrôles. Les observations de terrain d'Augustin racontent une autre histoire.
« J'ai retiré tous mes jetables le jour de l'interdiction », explique-t-il en désignant ses étagères désormais vides de cette catégorie. Un aveu s'impose : « Pour être honnête, ces produits n'ont jamais eu bonne presse dans notre milieu professionnel. Prix indécents avec des marges obscènes, impact écologique catastrophique, normalisation inexistante, aucun contrôle qualité – tout ce contre quoi on se bat depuis des années pour assainir le marché du vapotage sérieux. »
Il marque une pause. « Mais soyons francs : il fallait en vendre. On fait du commerce. Quand toutes les grandes enseignes en proposent, tu ne peux pas te permettre de ne pas en avoir. Le client va ailleurs. »
Il montre du doigt ses dispositifs rechargeables, ses flacons d'e-liquides français certifiés, ses résistances de qualité. « Le vrai vapotage, c'est ça : du matériel durable, des liquides tracés, des conseils personnalisés. Les puffs, c'est l'exact opposé. Mais je comprenais leur utilité comme porte d'entrée. Un fumeur de 40 ans qui n'y connaît rien, qui a peur de la complexité, il teste une puff. Si ça marche, je l'accompagne vers du rechargeable, je lui explique le dosage nicotine, je le fais évoluer. C'était mon métier : transformer un acheteur de jetable en vapoteur responsable. »
Sur son ordinateur, il me montre des groupes Facebook, des comptes Instagram, des sites web. « Regardez. L'interdiction ? Ils s'en fichent. Vente en ligne, réseaux sociaux – on trouve des puffs en deux clics, livrées en 48h, sans aucun contrôle d'âge sérieux. Et tenez, regardez ça… » Il affiche un site marchand : des puffs déguisées en « rechargeables électriques ». « Un port USB ajouté pour recharger la batterie, mais toujours pré-remplies de liquide, impossibles à remplir à nouveau. Ou alors avec des résistances non remplaçables, donc jetables in fine. Du contournement légal pur. L'esprit de la loi ? Violé. La lettre de la loi ? Techniquement respectée. »
« Résultat de l'interdiction ? Mes anciens clients achètent leurs puffs sur internet ou à l'épicerie d'en face, sans aucun contrôle, sans conseil, sans évolution possible. Des gamins commandent en ligne avec la carte bancaire de leurs parents. »
Il nuance son propos : « Soyons clairs : il existe des tonnes de produits d'appel respectant toutes les normes. Des pods rechargeables simples, des kits débutants entre 20 et 30 euros, des dispositifs tout aussi faciles d'utilisation que les puffs. Le problème n'est pas technique, il est marketing. Les puffs bénéficiaient d'un battage médiatique délirant : packaging flashy, couleurs bonbon, présence massive sur TikTok et Instagram, placement produit par des influenceurs. Tout cela était parfaitement illégal – la publicité pour le vapotage est interdite en France depuis 2016 (article L3513-4 du Code de la santé publique). Mais personne ne contrôlait. Une machine de communication clandestine ciblée sur les 14-25 ans que nous, boutiques responsables, ne pouvions ni égaler ni contrer. »
« L'interdiction a détruit notre possibilité de capter cette clientèle attirée par le marketing agressif et de la réorienter progressivement vers des dispositifs conformes et durables. Maintenant ? Ces jeunes commandent directement en ligne les mêmes puffs illégales qui les ont séduits, sans passer par nous. L'interdiction a parfaitement réussi… à détruire le circuit responsable qui tentait justement d'assainir ce segment en l'encadrant. »
Pendant quinze ans, Augustin a accompagné des centaines de fumeurs dans leur sevrage tabagique. Il a vu des vies se transformer : des clients qui retrouvaient leur souffle, qui ne toussaient plus en montant les escaliers, qui échappaient à la spirale mortelle du tabac. Gabrielle, sa propre mère, a arrêté après trente-cinq ans grâce au vapotage. Patrick, son père atteint d'un lymphome, également.
Car l'Australie est précisément là où l'Europe se dirige. Entre 2021 et 2024, ce pays a transformé 90% de son marché du vapotage en trafic illégal contrôlé par des cartels criminels. Comment ? En interdisant progressivement l'outil que Public Health England estimait « 95% moins nocif que le tabac ». Résultat : explosion de la violence (commerces incendiés dans des guerres de territoire), produits dangereux non contrôlés dans les mains des jeunes, marché noir de 2,7 milliards de dollars, et enrichissement massif du crime organisé.
88% des Australiens réclament aujourd'hui un assouplissement de la réglementation. Trop tard : les saisies ont augmenté de +1400% depuis 2021, moins de 1% des pharmacies acceptent de vendre les produits légaux, et le Dr Kelvin Kong, chirurgien aborigène, dénonce « un paternalisme sanitaire qui perpétue le génocide lent par la cigarette » dans les communautés où le tabagisme atteint 45%.
« Si j'étais en Australie, je serais un criminel. Mes clients retourneraient au tabac ou iraient au marché noir », conclut Augustin.
L'Europe suit exactement la même trajectoire. Taxation généralisée dans 21 pays sur 27. Interdiction des arômes effective dans 7 pays, en discussion dans 12 autres. Restrictions de distribution qui étranglent progressivement le marché légal. En France, 412 boutiques spécialisées ont fermé entre février et septembre 2025, 1847 emplois ont été supprimés, et les ventes de cigarettes ont augmenté de 4,2% – première hausse après quatre années de baisse consécutive.
Et partout, le même discours : « protéger la jeunesse ».
« Pour réguler le vapotage, qui est mieux placé que les professionnels de terrain, les fabricants responsables, et les instances médicales ? Certainement pas un énarque qui n'a jamais touché une cigarette », résume Augustin. Cette question de la subsidiarité cognitive (qui décide, sur quelle base d'expertise) traverse tout le débat réglementaire actuel.
Ce que vous allez lire est l'histoire d'un échec démocratique en cours. Un cas d'école de ce qui se produit lorsque les décisions politiques ignorent systématiquement les preuves scientifiques, le terrain, et la volonté majoritaire. Une illustration parfaite de ce que l'on pourrait appeler « l'irrationalité institutionnalisée » : cette capacité des démocraties modernes à produire des politiques qui contredisent simultanément la science, l'efficacité mesurable, et l'intérêt général.
Ce rapport exhaustif examine les dynamiques contradictoires qui façonnent l'avenir du vapotage à l'échelle mondiale, avec un focus particulier sur l'Europe et la France.
Résumé Exécutif
Le marché mondial de la cigarette électronique traverse en 2025 une période paradoxale d'expansion économique soutenue et de menaces réglementaires sans précédent. Alors que le secteur affiche, selon les estimations les plus optimistes, une croissance pouvant atteindre +29,6% par an (bien que le consensus des analystes de référence comme Grand View Research et Euromonitor situe la croissance réelle autour de +11-15% par an), avec un marché estimé à 45 milliards de dollars en 2025, l'industrie fait face à une vague de restrictions qui pourrait compromettre son rôle dans la réduction des méfaits du tabagisme.
Ce rapport examine en détail les dynamiques contradictoires qui façonnent l'avenir du vapotage à l'échelle mondiale.
Note méthodologique : Cet article adopte une perspective de réduction des risques, s'appuyant sur le consensus scientifique majoritaire (Public Health England, Cochrane, Royal College of Physicians) tout en intégrant les réserves et critiques légitimes (ANSES, OMS, études sur les effets à long terme). Les projections économiques citées proviennent de sources variées dont la fiabilité peut différer. Les éléments non confirmés officiellement sont explicitement signalés comme tels.
I. Le Marché Mondial : Une Croissance Phénoménale
1.1 Données Économiques Globales
Le marché mondial de la cigarette électronique connaît une expansion remarquable, bien que les projections varient considérablement selon les sources. La taille du marché mondial était évaluée à 36,41 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 45,03 milliards en 2025.
Divergences des projections : Certains cabinets privés (Research Nester, Global Market Insights) projettent une croissance exceptionnelle avec un TCAC (taux de croissance annuel composé) de +29,6%, prévoyant un marché dépassant 1000 milliards de dollars d'ici 2037. Toutefois, les analystes de référence estiment plus prudemment la croissance : Euromonitor (Western Europe Nicotine Alternatives, 2025) situe le TCAC mondial entre +11% et +15%, et Grand View Research (2025) avance des estimations similaires autour de +12-14%. Cette divergence importante entre scénarios optimistes et consensus d'analystes doit inciter à la prudence dans l'interprétation des chiffres de croissance.
Cette croissance, même dans ses estimations les plus conservatrices, s'explique par plusieurs facteurs convergents. Le vapotage s'impose progressivement comme un outil efficace pour l'arrêt du tabac, comme l'attestent les données historiques de Public Health England (PHE) qui, de 2015 à 2022, ont affirmé que le vapotage est « 95% moins nocif que le tabac fumé ». (Note : Depuis 2023, les fonctions de Public Health England ont été transférées à l'Office for Health Improvement and Disparities (OHID). Le dernier rapport officiel de PHE/OHID date de 2022, et aucune nouvelle évaluation officielle n'a encore été publiée depuis cette restructuration administrative.)
Les études longitudinales (qui suivent les mêmes personnes sur de longues périodes) confirment également son efficacité pour le sevrage tabagique, notamment les méta-analyses Cochrane. La dernière mise à jour de la revue Cochrane (janvier 2025, 90 études, 29044 participants) conclut sans ambiguïté que « les gens sont plus susceptibles d'arrêter de fumer pendant au moins six mois en utilisant des cigarettes électroniques à base de nicotine qu'en utilisant une thérapie de remplacement de la nicotine ». En clair, les e-cigarettes nicotinées offrent des taux de succès d'arrêt supérieurs aux substituts traditionnels (patchs, gommes, etc.), avec un niveau de preuve qualifié de haute certitude.
1.2 Répartition Géographique
1.2.1 Amérique du Nord : Le Géant du Marché
L'Amérique du Nord domine le marché mondial, représentant environ 36,2% de la part totale en 2024. Les États-Unis, en particulier, génèrent un chiffre d'affaires estimé entre 8 et 12 milliards de dollars selon les sources (Grand View Research 2024-25 estime le marché US à 10,8 milliards USD en 2024 ; Statista avance des chiffres similaires), très loin des estimations initiales qui étaient plus modestes.
À l'horizon 2037, la région pourrait atteindre 424 milliards de dollars de chiffre d'affaires selon certains scénarios optimistes, portée par une population plus jeune acceptant le vapotage comme une option de réduction des risques et par une popularité croissante du produit.
Le marché nord-américain, en particulier aux États-Unis, connaît une croissance considérable en raison de la forte demande de produits de remplacement du tabac et de mesures réglementaires incitatives. Selon les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), la prévalence du tabagisme chez les adultes américains était de 11,5% en 2021 (enquête NHIS 2021), et selon des estimations préliminaires 2023 publiées en 2024, elle serait tombée à environ 11%. Il s'agit de l'un des taux les plus bas jamais enregistrés.
Précision réglementaire (FDA) : Le processus d'autorisation PMTA (Premarket Tobacco Product Application) de la FDA a validé plusieurs produits de vapotage au cours des dernières années. Plusieurs références Vuse ont obtenu une autorisation de mise sur le marché (Marketing Granted Order). Mise à jour notable : le 17 juillet 2025, la FDA a délivré un Marketing Granted Order pour plusieurs produits JUUL, mettant fin à des années de litige réglementaire. Cela signifie qu'aux États-Unis, des e-cigarettes de marques majeures (Vuse, Juul, NJOY) disposent désormais d'autorisations formelles de vente, ce qui confère un cadre légal plus stable au marché.
1.2.2 Europe : Le Marché le Plus Dynamique
L'Europe représente le marché de la cigarette électronique connaissant la croissance la plus rapide au monde, portée par une réglementation initialement favorable (notamment via la directive 2014/40/UE qui a légalisé et encadré les e-cigarettes), une forte présence de détaillants spécialisés, et l'utilisation croissante du vapotage comme alternative de réduction des méfaits.
Eurobaromètre 2024 : L'enquête spéciale « Attitudes des Européens à l'égard du tabac et des cigarettes électroniques » (données collectées en mai 2023) révèle qu'environ 24% des adultes fument dans l'UE (en baisse par rapport à 26% en 2020). Concernant le vapotage :
- 3,5% des adultes européens sont des utilisateurs quotidiens de cigarette électronique (vapotent chaque jour) ;
- 2,2% sont des utilisateurs occasionnels (vapotent moins régulièrement) ;
- 68% des vapoteurs quotidiens sont d'anciens fumeurs (ex-fumeurs ayant complètement substitué le tabac par la vape) ;
- 21% sont des fumeurs en transition (vapo-fumeurs qui combinent vape et tabac, souvent dans une démarche de sevrage progressif) ;
- Seulement 11% des vapoteurs quotidiens n'ont jamais fumé de tabac combustible (non-fumeurs initiaux, ce qui infirme l'idée d'une initiation massive de non-fumeurs via la vape).
Perceptions : L'enquête met en lumière un décalage important entre la perception publique et la réalité scientifique :
- 42% des Européens pensent que le vapotage est « aussi nocif » que la cigarette combustible ;
- 15% le considèrent même « plus nocif » que fumer du tabac ;
- Seulement 29% le considèrent « moins nocif » (ce qui est pourtant la position des autorités sanitaires britanniques et de nombreux experts) ;
- 14% répondent qu'ils « ne savent pas ».
Ce décalage perception/réalité constitue un défi majeur pour les politiques de santé publique basées sur la réduction des risques. Il souligne la nécessité d'une meilleure information : alors que la science indique clairement que vapoter est beaucoup moins dangereux que fumer, une majorité de citoyens pensent le contraire, ce qui peut décourager des fumeurs d'adopter le vapotage comme outil d'arrêt. Selon Public Health England, « la nicotine cause peu ou pas de mal – c'est la fumée du tabac qui tue », et l'organe britannique de santé notait dès 2018 que 4 fumeurs sur 10 croyaient à tort que la nicotine était la principale cause des cancers liés au tabac.
Le Royaume-Uni, sorti de l'UE mais souvent cité en exemple, mène la charge pour une approche plus équilibrée, soulignant sa position officielle (Public Health England / OHID) selon laquelle le vapotage est 95% moins risqué que le tabagisme et en encourageant activement la vape comme choix moins nocif pour les fumeurs. Cette politique se traduit par des résultats tangibles et mesurables.
Données officielles britanniques : Selon l'Office for National Statistics (ONS), les habitudes de consommation publiées en 2024 indiquent que le tabagisme a chuté à 12,3% de la population adulte du Royaume-Uni en 2023 (contre 27% en 2000). C'est un niveau plancher historique, conséquence d'une baisse continue sur deux décennies et de campagnes pro-actives de sevrage. Parallèlement, l'utilisation régulière de produits de vapotage est passée de 1,7% de la population adulte en 2012 à environ 8-10% en 2023-2025.
Les données ASH (Action on Smoking and Health) montrent qu'en 2025 environ 10% des adultes en Grande-Bretagne vapotent (5,5 millions de personnes). Ce taux s'est stabilisé autour de 8-10% ces dernières années. La composition de ce groupe est instructive : 55% des vapoteurs britanniques sont d'anciens fumeurs (3,0 millions de personnes ayant totalement arrêté le tabac grâce à la vape), et 40% sont en double usage (2,2 millions de personnes vapotant tout en fumant encore, typiquement en phase de transition ou de réduction). Seul un faible pourcentage de vapoteurs n'a jamais fumé, et ce taux diminue (les never smokers ne représentaient que 0,9% des vapoteurs en 2025, en baisse par rapport à 1,6% en 2024 selon ASH).
Motivations d'usage documentées (Royaume-Uni) : Les raisons principales citées par les vapoteurs britanniques pour expliquer leur démarche sont :
- Arrêt du tabac : 71% des utilisateurs disent vapoter pour arrêter de fumer ou ne pas rechuter ;
- Réduction des risques sanitaires : 64% mentionnent le moindre danger de la vape par rapport à la cigarette comme motivation ;
- Économies financières : environ 45% citent le coût moindre du vapotage par rapport aux cigarettes ;
- Prévention de la rechute tabagique : 38% indiquent que vapoter les aide à ne pas recommencer à fumer lorsqu'une envie survient.
Ces chiffres montrent que le vapotage au Royaume-Uni est massivement un outil de sortie du tabac, pas un nouveau loisir indépendant : plus de 4 vapoteurs sur 5 sont d'anciens fumeurs ou des fumeurs en sevrage, qui cherchent à améliorer leur santé.
À l'échelle européenne, on estimait environ 20,1 millions de vapoteurs en 2021 (dont ~3 millions en France), sur un total de 82 millions de vapoteurs dans le monde, témoignant d'une prévalence plus élevée de l'e-cigarette en Europe qu'ailleurs. Cette base d'utilisateurs significative fait de l'Europe un terrain clé pour l'avenir de la vape, et explique que les décisions réglementaires européennes aient un impact global.
1.2.3 Asie-Pacifique : Le Potentiel Inexploité
Avec une population jeune en plein essor, des taux de tabagisme élevés et une appétence pour les technologies grand public, la région Asie-Pacifique représente un potentiel colossal mais encore largement sous-exploité pour le vapotage.
La Chine, en particulier, joue un rôle paradoxal : c'est le plus grand producteur d'appareils de vapotage au monde (la quasi-totalité des e-cigarettes et e-liquides sont fabriqués en Chine, notamment à Shenzhen), mais son marché intérieur est resté longtemps très limité par des restrictions. Depuis 2021 cependant, la Chine a commencé à réguler et taxer le vapotage plutôt que de l'interdire, ce qui ouvre son marché domestique. Des marques locales comme RELX, SMOK ou Vaporesso dominent le secteur en Asie et s'exportent mondialement.
En Asie du Sud-Est, les politiques varient : certains pays comme la Malaisie ou l'Indonésie ont de larges communautés de vapoteurs mais une réglementation floue ; d'autres comme la Thaïlande ou Singapour ont interdit la vape (avec des résultats comparables à l'Australie en termes de marché noir). L'Inde a banni les e-cigarettes en 2019, privant ainsi plus de 100 millions de fumeurs d'une alternative – décision critiquée par de nombreux experts de santé publique.
Le Japon et la Corée du Sud offrent un autre modèle : ils ont fortement restreint les e-liquides nicotinés, mais le marché des produits de tabac chauffé (Heat-not-Burn comme IQOS) y a explosé. Au Japon, les cigarettes électroniques nicotinées sont de facto interdites (la nicotine liquide est classée comme médicament), ce qui a permis à IQOS (Philip Morris) de conquérir près de 30% du marché du tabac en quelques années. Cela montre que la demande de produits à risques réduits existe, mais qu'elle peut se reporter sur des alternatives différentes selon le cadre légal.
Enfin, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que plus de 50% des hommes adultes en Chine fument – soit un vivier de plus de 180 millions de fumeurs – ce qui constitue un marché potentiel immense pour la vape si son usage était encouragé comme outil de réduction des risques. La même dynamique vaut pour l'Indonésie (65 millions de fumeurs) ou la Russie (20 millions). La conquête de l'Asie par le vapotage dépendra donc fortement de l'évolution des politiques publiques dans ces pays, aujourd'hui encore très restrictives sous l'influence des positions de l'OMS.
1.3 Le Marché Français : Un Dynamisme Confirmé… sous Menace
Le marché français de la cigarette électronique affichait jusqu'à récemment une santé remarquable. Selon les données Xerfi Precepta, il était estimé à 1,1 milliard d'euros en 2025, avec une projection de croissance de +5% par an jusqu'en 2027. La France compte plus de 3 millions de vapoteurs réguliers en 2025, dont plus de la moitié sont d'anciens fumeurs ayant arrêté totalement la cigarette classique.
Plusieurs facteurs convergents expliquent cette progression : d'une part, la hausse continue du prix du tabac (le paquet de cigarettes avoisine 11 € en 2023-2024) pousse de nombreux fumeurs à rechercher des alternatives plus économiques. D'autre part, la cigarette électronique séduit un public de plus en plus large grâce à ses innovations (nouvelles générations de pods faciles à utiliser), la personnalisation des matériels, la qualité croissante des e-liquides (notamment la production française labellisée), et son rôle reconnu dans le sevrage tabagique progressif.
La structure du marché français reste particulière : contrairement à d'autres industries souvent dominées par quelques géants, la vape hexagonale est un secteur où les indépendants et petites entreprises locales tiennent une place centrale. On compte près de 3300 boutiques spécialisées en France (en janvier 2025, avant l'interdiction des puffs) et plus d'une dizaine d'enseignes nationales ou régionales.
Le Petit Vapoteur s'impose comme un cas d'école de cette réussite « à la française ». Fondée en 2010 à Cherbourg (Normandie) par Olivier Dréan et Tanguy Gréard, l'entreprise manchoise est devenue le leader européen de la vape indépendante. Elle affiche aujourd'hui des chiffres impressionnants : 154 millions d'euros de chiffre d'affaires, 550 employés, plus de 100 boutiques en propre à travers la France (aucune franchise – « une boutique LPV, c'est du LPV de A à Z » selon la direction), et plus de 3 millions de clients dans le monde.
Cette croissance spectaculaire – d'un projet lancé dans un grenier en 2010 à un leader continental quinze ans plus tard – repose sur un modèle unique : toutes les boutiques sont en gestion directe (pas de franchisés), garantissant une cohérence de conseil et de qualité de service. Depuis 2016, l'entreprise produit ses propres e-liquides dans son laboratoire cherbourgeois (20 à 30 nouveaux parfums par an). En 2022, elle a lancé sa propre cigarette électronique, la First. Le Petit Vapoteur incarne ainsi ce que la restriction réglementaire actuelle menace de détruire : un modèle fondé sur la pédagogie, l'accompagnement personnalisé du fumeur vers l'arrêt, et la qualité face aux circuits de distribution de masse souvent contrôlés par l'industrie du tabac.
Aux côtés du Petit Vapoteur, d'autres enseignes françaises structurent le marché : Vapostore (50+ boutiques), Cigusto, Clopinette, Kumulus Vape, etc., sans oublier les fabricants d'e-liquides de renom comme Gaïatrend (Alfaliquid), Lips France (Le French Liquide) ou Liquideo qui rayonnent à l'international. L'industrie indépendante représenterait environ 85% du marché français, contre seulement 15% pour les cigarettiers (essentiellement via les pods fermés type Vuse, Logic, MyBlu vendus en bureau de tabac) – un équilibre unique en Europe qui a longtemps fait de la France un exemple de « vape libre » dominée par des PME locales.
Cet écosystème dynamique est cependant en train d'être profondément ébranlé par les nouvelles mesures réglementaires (interdiction des puffs, menaces de taxation, restrictions sur les arômes). Comme nous le verrons en détail dans la section III, 2025 marque un tournant : 412 boutiques spécialisées ont fermé en France entre février et septembre 2025 (soit plus de 12% du total en quelques mois), et 1847 emplois directs ont été supprimés, d'après les données consolidées de la filière. La raison principale invoquée : la suppression brutale des cigarettes électroniques jetables (puffs) qui constituaient jusqu'à 30-40% du chiffre d'affaires de nombreuses boutiques et un produit d'appel crucial pour attirer les fumeurs débutants. La conjonction de cette interdiction et de la perspective d'une taxation imminente a créé une onde de choc économique que le secteur, déjà fragile, peine à absorber.
II. Le Consensus Scientifique : Une Réduction des Risques Avérée
2.1 Le Rapport Historique de Public Health England (2015)
L'année 2015 marque un tournant décisif dans la compréhension scientifique du vapotage. Public Health England (PHE), l'agence de santé publique britannique, publie alors un rapport historique intitulé « E-cigarettes: an evidence update », qui deviendra la référence internationale en matière d'évaluation des risques du vapotage.
Ce rapport, commandé par le gouvernement britannique et mené par les Professeurs Ann McNeill (King's College London) et Peter Hajek (Queen Mary University of London), compile et analyse plus de 400 études internationales. Sa conclusion principale va révolutionner le débat public : « Les meilleures estimations montrent que les cigarettes électroniques sont 95% moins nocives pour la santé que les cigarettes normales ».
Cette évaluation ne repose pas sur une seule étude isolée mais sur un travail méthodologique rigoureux mené par un groupe d'experts internationaux convoqués par l'Independent Scientific Committee on Drugs (ISCD). Les experts ont utilisé une analyse multicritères évaluant 12 produits nicotinés selon 14 critères de nocivité différents. Alors que le tabac combustible reçoit une note de 100 (danger maximal), la cigarette électronique obtient une note de 5, établissant ainsi cette réduction de risque relative de 95% par rapport au tabac. Autrement dit, vapoter serait ~20 fois moins risqué que fumer, selon ces spécialistes.
À l'époque, cette affirmation a un retentissement mondial. Elle est reprise dans les campagnes de santé publique au Royaume-Uni, où dès 2016 le Service National de Santé (NHS) commence à promouvoir le vapotage auprès des fumeurs. Mais ailleurs, elle suscite aussi scepticisme et critiques, certains rappelant qu'il s'agit d'une estimation et non d'une mesure directe. Quoi qu'il en soit, 2015 scelle dans l'opinion l'idée que le vapotage constitue une alternative beaucoup moins nocive que la cigarette.
2.2 Confirmations et Mises à Jour Successives (2015-2022)
Loin d'être un simple slogan marketing, ce chiffre de 95% a été conforté et affiné par des études et rapports successifs. Public Health England a publié des mises à jour annuelles de son examen des preuves entre 2015 et 2022, chacune renforçant les conclusions initiales. Le rapport PHE/OHID de 2020 précise que « à court et moyen terme, le vapotage représente seulement une petite fraction des risques liés au tabagisme », tout en soulignant le besoin de données à long terme. Le dernier rapport officiel (OHID 2022) maintient fermement que « le vapotage est nettement moins nocif que le tabagisme », tout en recommandant de poursuivre les études sur des durées supérieures à 12 mois pour confirmer que ces risques restent limités sur le long terme.
Ces rapports successifs ont notamment analysé des biomarqueurs (indicateurs biologiques mesurables dans l'organisme) chez fumeurs et vapoteurs : niveaux de carcinogènes dans l'organisme, indicateurs d'inflammation, etc. Le constat général est sans appel : l'exposition aux substances toxiques connues pour causer les cancers, maladies respiratoires et cardiovasculaires est drastiquement plus faible chez les vapoteurs comparés aux fumeurs, souvent du même ordre de grandeur que chez des personnes utilisant des substituts nicotiniques ou n'utilisant aucun produit du tout. Autrement dit, passer du tabac à la vape fait chuter les marqueurs de risque vers des niveaux proches de l'abstinence complète de tabac.
La perspective française : les travaux du Pr Bertrand Dautzenberg
En France, le Pr Bertrand Dautzenberg (pneumologue et tabacologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière) a été l'un des premiers experts à prendre position en faveur du vapotage dès 2013, dans un rapport commandé par le Ministère de la Santé. Ses formules imagées ont marqué les esprits : « Un an de vapotage est moins dangereux qu'un jour de tabac » ou encore « Attaquer la vape comme produit de sortie du tabac, c'est objectivement renforcer l'industrie du tabac ».
Dautzenberg souligne inlassablement la différence d'ordre de grandeur des risques. Dans une étude publiée en 2023 (International Journal of Environmental Research and Public Health), lui et ses co-auteurs ont passé en revue les études sur l'effet passerelle chez les jeunes. Leur conclusion : beaucoup de travaux qui prétendent que vapoter mène à fumer sont entachés de biais méthodologiques (ils confondent expérimentation ponctuelle et usage régulier, ou ne filtrent pas les facteurs de risque préexistants). Selon Dautzenberg, « tout ce qu'on raconte sur la vape comme porte d'entrée vers le tabagisme chez les jeunes, ce sont des bêtises. Les données objectives montrent que les jeunes fument avant de vapoter. [...] Ce n'est pas la vape qui est la porte d'entrée vers le tabagisme, c'est l'inverse. » En d'autres termes, la corrélation observée (les jeunes vapoteurs ont souvent aussi essayé la cigarette) s'explique par une propension commune, pas par un effet causal de la vape vers le tabac.
En août 2025, le Pr Dautzenberg a publié un point d'actualité rappelant les avantages et inconvénients du vapotage dans le sevrage tabagique : il confirme l'efficacité supérieure du vapotage par rapport aux substituts nicotiniques traditionnels, tout en insistant sur l'importance de l'accompagnement médical pour optimiser les résultats (choix du bon dosage de nicotine, suivi dans le temps, etc.).
2.3 La Revue Cochrane : La Référence Mondiale Indépendante
La revue systématique Cochrane s'impose comme la synthèse la plus solide de la recherche scientifique mondiale sur la cigarette électronique et le sevrage tabagique. Initiée en 2014, cette méta-analyse (synthèse statistique de plusieurs études) est mise à jour en continu (revue vivante) pour intégrer les dernières études cliniques disponibles.
La mise à jour la plus récente, publiée le 29 janvier 2025, porte sur 90 études (randomisées ou cohortes) totalisant 29044 fumeurs adultes. Sa conclusion est sans ambiguïté : « Les gens sont plus susceptibles d'arrêter de fumer pendant au moins six mois en utilisant des cigarettes électroniques à base de nicotine qu'en utilisant une thérapie de remplacement de la nicotine. » Le niveau de preuve est évalué comme élevé (high certainty) concernant l'avantage des e-cigarettes nicotinées sur les patchs/gommes. En chiffres, cela se traduit ainsi : dans les essais analysés, pour 100 personnes essayant d'arrêter, environ 8 à 12 réussissent avec la e-cigarette, contre 6 sur 100 avec les substituts classiques. Cela signifie qu'il y a 2 à 6 arrêts supplémentaires du tabac pour 100 fumeurs lorsqu'ils utilisent la vape par rapport aux traitements nicotiniques classiques – un apport non négligeable à l'échelle populationnelle.
La Cochrane note en outre que les cigarettes électroniques à nicotine donnent de meilleurs résultats que les e-cig sans nicotine (preuve d'une efficacité pharmacologique de la nicotine vapotée dans le sevrage). Elle souligne enfin que aucun effet indésirable grave lié à la vape n'a été mis en évidence dans ces essais sur un suivi de 2 ans ou moins – les effets secondaires les plus courants étant des irritations de gorge ou de bouche, des nausées ou maux de tête transitoires chez certains utilisateurs, comparables aux effets des substituts oraux de nicotine. Les auteurs appellent toutefois à rester prudent sur le long terme (>2 ans) par manque de données, et à surveiller l'arrivée de nouvelles générations d'e-cig plus performantes.
En résumé, la Cochrane 2025 apporte la confirmation la plus forte à ce jour du potentiel du vapotage comme outil de sevrage tabagique. Elle conforte ce que les médecins de terrain observaient : une efficacité souvent supérieure aux traitements classiques, notamment pour les fumeurs réfractaires aux substituts ou ayant échoué avec eux.
2.4 Mécanismes de Réduction des Risques : Combustion vs Vaporisation
La différence fondamentale entre vapotage et tabagisme réside dans l'absence de combustion. Quand on allume une cigarette, on porte du tabac à haute température (800°C), ce qui crée de la fumée contenant environ 7000 composés chimiques, dont au moins 70 sont cancérigènes avérés. Au contraire, la cigarette électronique ne brûle rien : elle chauffe une solution à base de propylène glycol, glycérine, arômes, et éventuellement nicotine, pour produire un aérosol (vapeur). Les températures en jeu sont bien moindres (200°C à 250°C) et il n'y a pas d'oxydation du matériau végétal comme dans le tabac.
Conséquence : la composition de la vapeur de e-cigarette est radicalement différente de celle de la fumée de cigarette. La grande majorité des composés toxiques présents dans la fumée de tabac sont absents de la vapeur, ou ne s'y trouvent qu'à l'état de traces infimes. Par exemple, on ne retrouve ni goudrons, ni monoxyde de carbone (CO) dans le vaporat. La vapeur contient principalement du PG/VG et des arômes, plus de la nicotine si le liquide en contient, ainsi que de petites quantités de composés organiques volatils, d'acroléine, de nitrosamines, etc., généralement en concentrations de 50 à 500 fois plus faibles que dans la fumée de cigarette.
Comme le résume Public Health England : « Les gens fument pour la nicotine, mais contrairement à ce que la grande majorité croit, la nicotine cause peu ou pas de mal. Ce sont les milliers d'autres substances issues de la combustion du tabac qui causent les maladies liées au tabagisme. » En effet, la nicotine, bien que addictive, n'est pas cancérigène et n'est pas le principal responsable des pathologies du fumeur (cancers, infarctus, BPCO...). La nicotine est d'ailleurs utilisée depuis des décennies dans les substituts (patchs, etc.) sans problèmes majeurs de santé.
Le Royal College of Physicians britannique, dans son rapport de 2016 « Nicotine without smoke: Tobacco harm reduction », explique que la nicotine prise sans combustion pourrait certes présenter des risques modérés (effets cardiovasculaires légers, dépendance), mais rien de comparable avec les ravages du tabac. En particulier, « inhaler la nicotine via une e-cigarette n'expose pas aux goudrons, monoxyde de carbone et autres poisons de la cigarette, responsables des cancers et maladies cardiovasculaires ». Le RCP encourage dès lors l'adoption du vapotage par les fumeurs, n'y voyant « pas une porte d'entrée, mais une porte de sortie du tabac ».
2.5 Limites Scientifiques et Controverses
Prudence nécessaire : Si la réduction des risques du vapotage par rapport au tabac combustible fait l'objet d'un large consensus scientifique, plusieurs limites et incertitudes doivent être soulignées pour rester rigoureux :
• Le chiffre « 95% moins nocif » : Cette estimation de PHE provient d'un modèle d'analyse décisionnelle par experts, ce n'est pas une mesure toxicologique directe. Bien qu'elle soit souvent citée (et confirmée par les observations jusqu'à 2022), il s'agit d'une estimation relative, pas d'une garantie absolue. Certains scientifiques reprochent d'ailleurs à ce chiffre d'être trop précis et potentiellement trompeur. Néanmoins, l'ordre de grandeur (nettement moins nocif) n'est pas contesté sérieusement, même par des organismes prudents.
• Incertitudes sur le très long terme : Le vapotage n'existe que depuis ~15 ans. Les données dont on dispose couvrent principalement des périodes d'usage de 5 à 10 ans au maximum. Les effets d'une utilisation prolongée sur 20 ou 30 ans restent inconnus. Les agences comme l'ANSES en France ou l'OMS soulignent régulièrement cette inconnue, justifiant un principe de précaution. En l'absence de recul, on ne peut exclure par exemple qu'une bronchite chronique ou d'autres pathologies apparaissent après des décennies de vape chez certains.
• Préoccupations identifiées : Quelques points d'attention spécifiques ont émergé dans la littérature :
– Formaldéhyde : Des études (notamment 2015, Jensen et al.) ont montré qu'en surchauffant une e-cig (phénomène de dry hit ou utilisation à puissance trop élevée), du formaldéhyde peut se former, à des taux toutefois bien inférieurs à ceux de la cigarette. Ce risque est réel mais évitable en usage normal (les vapoteurs évitent instinctivement les bouffées de liquide surchauffé).
– Impact pulmonaire chronique : Certaines recherches récentes (ex. dans Lancet Respiratory Medicine 2023-2024) suggèrent de possibles effets inflammatoires dans les voies respiratoires de vapoteurs intensifs, avec des altérations subtiles de la fonction pulmonaire. Des cohortes suivies sur 3-5 ans ont détecté des marqueurs d'inflammation bronchique plus fréquents chez les vapoteurs que chez des non-fumeurs, tout en restant bien moindres que chez les fumeurs. Ces signaux invitent à la vigilance mais n'ont pas, à ce jour, montré de maladie pulmonaire grave causée par la vape (en dehors de l'épisode d'EVALI aux USA en 2019, qui était lié à des liquides illicites au THC).
– Addiction chez les jeunes : L'usage de la vape par des non-fumeurs, en particulier des adolescents, soulève des questions légitimes sur la création d'une nouvelle dépendance nicotinique. Aux États-Unis, la vague des JUUL en 2018-2019 a fait craindre une « épidémie » de jeunes vapoteurs. En réalité, la plupart de ces jeunes vapoteurs étaient ou sont devenus aussi fumeurs de tabac, et depuis 2019 le vapotage adolescent a reflué (de 27% des lycéens US en 2019 à 14% en 2022). En Europe, les chiffres de l'enquête ESPAD 2019/2023 montrent une expérimentation relativement élevée de la vape chez les 15-16 ans (10-20% ont essayé au moins une fois), mais un usage régulier beaucoup plus faible (seuls 2-3% vapotent fréquemment, majoritairement d'ex-fumeurs). L'« effet passerelle » vers le tabac, souvent brandi, n'est pas confirmé par les données globales : dans les pays où le vapotage des jeunes a augmenté (UK, USA), le tabagisme des jeunes a simultanément chuté à des minima historiques.
L'effet passerelle remis en question : La notion que la vape servirait de tremplin vers le tabagisme pour des jeunes qui n'auraient jamais fumé est très débattue. L'analyse critique de Dautzenberg (2023) citée plus haut, ainsi que d'autres travaux (A. Selya, Harm Reduction Journal 2024), suggèrent que la corrélation usage e-cig / tabac chez les jeunes s'explique principalement par des facteurs de risque communs (environnement familial fumeur, personnalité à prise de risque, etc.), plutôt que par un effet causal. De plus, les tendances populationnelles contredisent la thèse d'un effet passerelle significatif : dans la décennie 2010-2020, les pays occidentaux ont vu un essor du vapotage ET une accélération du déclin du tabagisme adolescent. Cela suggère plutôt un effet de substitution (des jeunes qui auraient fumé se tournent vers la vape à la place) qu'un effet d'entraînement vers le tabac.
En bref : le vapotage n'a pas « renormalisé » la cigarette chez les jeunes, au contraire la cigarette n'a jamais été aussi impopulaire (en 2023, seulement ~2% des 11-17 ans britanniques fument, du jamais vu).
Position de l'OMS : L'Organisation Mondiale de la Santé reste plus réservée et critique vis-à-vis de la vape que les agences anglaises ou néo-zélandaises. Dans son rapport « WHO Global Tobacco Epidemic 2021/2023 », l'OMS classe les produits de vapotage parmi les « produits du tabac ou apparentés » et appelle à une régulation stricte, citant le principe de précaution face aux incertitudes. L'OMS recommande notamment :
- L'interdiction ou la restriction sévère des arômes (pour éviter d'attirer les jeunes) ;
- Une taxation alignée sur celle du tabac combustible (pour décourager l'usage) ;
- L'interdiction de toute forme de publicité, promotion, ou parrainage ;
- Des restrictions sur les lieux d'usage (assimilant la vape au tabac pour les interdictions de fumer) ;
- Une surveillance continue des études pour détecter d'éventuels effets sanitaires à long terme.
Cette position de l'OMS, bien que contestée par de nombreux experts indépendants en santé publique (en particulier au Royaume-Uni et aux États-Unis où l'on considère que l'OMS sous-estime la balance bénéfices/risques du vapotage), influence fortement les politiques nationales, surtout dans les pays en développement. On observe ainsi que les pays les plus alignés sur l'OMS (Inde, Thaïlande, Brésil...) ont opté pour des interdictions pures et simples, tandis que les pays prônant la réduction des risques (UK, Canada, Nouvelle-Zélande) se sont éloignés de la ligne OMS.
En somme, ces réserves n'invalident pas le consensus sur la réduction des risques du vapotage relatif au tabac, mais elles soulignent la nécessité de :
- Poursuivre la recherche à long terme sur les effets d'une vape prolongée (20+ ans) ;
- Réserver prioritairement le vapotage aux fumeurs en transition (ne pas encourager son usage par des non-fumeurs) ;
- Prévenir l'initiation des plus jeunes en encadrant strictement la vente et le marketing (ce qui pose la question des arômes et de la publicité sur les réseaux sociaux, problème largement lié aux puffs comme vu plus haut).
2.6 Impact sur la Santé Publique Réelle
Plusieurs données épidémiologiques (étude des maladies dans les populations) suggèrent que le vapotage a déjà un impact positif concret sur la santé publique dans les pays qui l'ont intégré à leur stratégie anti-tabac.
Au Royaume-Uni, par exemple, l'association Action on Smoking and Health (ASH) estimait dès 2017 qu'environ 1,5 million de vapoteurs britanniques (sur 2,9 millions alors) étaient d'ex-fumeurs ayant arrêté totalement la cigarette grâce à la vape. Cela signifie plus d'un million de vies potentiellement améliorées ou sauvées en quelques années. Le ministère de la Santé britannique (DHSC) indiquait en 2019 que selon ses projections, les e-cigarettes pourraient contribuer à faire arrêter de fumer au moins 20000 personnes par an en Angleterre, et possiblement bien plus avec l'adoption large.
En France, on manque de données officielles aussi précises, mais les enquêtes (Santé Publique France, Baromètres santé) montrent qu'entre 2016 et 2019, le nombre de fumeurs a diminué de 1,6 million, une baisse corrélée à la hausse de l'usage de la vape et aux hausses de prix du tabac. Il est difficile de quantifier la part exacte de la vape dans cette diminution, mais l'OFDT notait qu'en 2017 la vape était l'outil d'aide le plus fréquemment cité par les fumeurs français ayant arrêté dans l'année.
Une étude de cohorte (suivi d'un groupe de personnes dans le temps) italienne (Riccardo Polosa, 2017) a suivi des fumeurs « dual users » (vape + tabac) sur plusieurs années et a constaté que la plupart d'entre eux évoluent vers un arrêt complet du tabac ou du vapotage au bout de 1 à 2 ans. Autrement dit, le double usage est souvent transitoire : ou bien le vapoteur finit par lâcher totalement ses cigarettes, ou, plus rarement, il abandonne la vape et revient au tabac. Très peu restent dual users à long terme. Cela soutient l'idée que la vape est généralement une porte de sortie plutôt qu'une dépendance additionnelle.
Enfin, on commence à mesurer l'impact sanitaire plus global : en Angleterre, la baisse du tabagisme entre 2012 et 2019 (où la vape a joué un rôle significatif) s'est accompagnée d'une diminution accélérée des admissions pour infarctus du myocarde et cancers du poumon. L'arrivée du COVID-19 en 2020 a brouillé les statistiques, mais les modélisations suggèrent que si la vape n'avait pas été disponible, le Royaume-Uni compterait aujourd'hui des centaines de milliers de fumeurs supplémentaires et donc une charge de maladies plus lourde.
En résumé, l'essor du vapotage, quand il est encadré intelligemment, se traduit par une baisse plus rapide du tabagisme et des bénéfices de santé publique. Là où les gouvernements ont intégré la vape (UK, NZ, Canada...), ils atteignent ou approchent des minimums historiques de tabagisme. À l'inverse, là où la vape est combattue ou interdite (Australie, Inde...), le tabagisme stagne ou recule moins vite qu'espéré, et des marchés noirs dangereux émergent.
III. Les Menaces Réglementaires : Une Vague Restrictive sans Précédent
3.1 L'Europe Face à un Tournant Historique
3.1.1 La Taxation : Un « Consensus » Inquiétant
En octobre 2024, le marché européen de la vape fait face à sa plus grande menace existentielle depuis sa création : la taxation généralisée des produits de vapotage. À la date d'octobre 2025, seuls quatre pays de l'Union européenne n'ont pas encore introduit de taxe spécifique sur la vape : l'Autriche, la France, l'Irlande et Malte. En revanche, 21 pays sur 27 taxent déjà les e-liquides ou les dispositifs. Ce revirement est très récent : en 2016, seul 1 pays le faisait.
Le modèle de taxation le plus répandu est une accise calculée au millilitre de liquide (plutôt qu'ad valorem). Les taux varient considérablement selon les États : de 0,08 € par ml en Pologne jusqu'à 0,30 € en Estonie, voire plus dans certains cas. La République tchèque a instauré début 2024 une taxe de 2,50 CZK par ml (environ 0,10 €/ml), tandis que la Finlande ou la Hongrie sont autour de 0,30 €/ml. Un cas extrême est cité en Suisse (hors UE) où certains liquides fortement dosés seraient taxés à 1,04 €/ml.
Ce mode de calcul favorise manifestement l'industrie du tabac, qui commercialise essentiellement des pods pré-remplis de petit volume (2 ml) ou des puffs jetables de 2 ml : sur un flacon de 10 ml (standard de l'industrie indépendante), une taxe de 0,20 €/ml représente 2 € additionnels, tandis que sur un pod de 2 ml cela ne fait que 0,40 €. Dit autrement, une telle taxe pénalise davantage les systèmes ouverts (flacons + clearomiseurs) que les systèmes fermés (cartouches jetables), ce qui avantage les cigarettiers qui opèrent surtout sur le segment fermé.
Proposition européenne en discussion
Le 16 juillet 2025, la Commission européenne a présenté une proposition de révision de la directive sur la taxation du tabac (Directive TED) pour harmoniser les taxes sur la vape. Elle suggère un plancher européen de 0,12 € par ml pour les e-liquides faiblement nicotinés (≤15 mg/ml) et 0,36 € par ml pour les e-liquides fortement dosés (>15 mg/ml). En pourcentage du prix, cela équivaut à une taxe minimale de 20% à 40% du prix de détail selon le dosage.
Cette proposition doit être approuvée à l'unanimité par les États membres (le domaine fiscal échappant à la majorité qualifiée) – ce qui n'est pas garanti – mais elle illustre la direction prise. Si elle est adoptée, elle entrerait en vigueur avec une période de transition (peut-être 2026-2028) pour laisser aux pays le temps de transposer. La France, qui pour l'instant résiste, pourrait se voir forcée d'appliquer au moins le minimum de 0,12-0,36 €/ml d'ici 2028.
3.1.2 Le Cas Français : Chronique d'une Taxe Annoncée
La France, malgré un consensus politique globalement hostile à la vape, avait jusque fin 2024 évité de taxer spécifiquement les e-liquides (ils ne subissent que la TVA 20%). Mais la situation a bien failli changer : en octobre 2024, le député centriste Charles de Courson a déposé un amendement (n°I-2885) visant à instaurer une taxe de 0,15 € par ml sur tous les e-liquides, nicotinés ou non. Adopté de nuit à l'Assemblée le 8 novembre 2024, l'amendement a finalement été retiré sous la pression du gouvernement, qui ne souhaitait pas de taxe « racket fiscal » non coordonnée avec l'UE. La ministre de la Santé de l'époque (François Braun puis Aurélien Rousseau) avait fait savoir son opposition, privilégiant un encadrement renforcé plutôt qu'une taxation immédiate.
Selon les estimations budgétaires, une telle taxe (0,15 €/ml) aurait pu rapporter 150 à 200 millions d'euros annuels à l'État français. Cependant, l'analyse de la Fédération interprofessionnelle de la vape (FIVAPE) a révélé les effets pervers d'une telle mesure : cette taxation aurait représenté un coup de pouce indirect à l'industrie du tabac. En effet, les cartouches de pods (vendues par Big Tobacco) auraient vu leur prix augmenter d'environ +7,5%, contre +25% à +40% pour les flacons de 10 ml de l'industrie indépendante, créant un net avantage compétitif pour les premiers. Cela aurait incité les consommateurs à se tourner vers les produits des cigarettiers (pods ou cigarettes).
La FIVAPE estimait en novembre 2024 qu'une taxe de 0,15 €/ml aurait menacé jusqu'à 5 000 emplois en France (essentiellement dans les boutiques et chez les fabricants d'e-liquides). Finalement, l'intervention de Bercy (ministère des Finances) – arguant qu'il valait mieux attendre une directive européenne harmonisée – a offert un sursis. Mais celui-ci pourrait être de courte durée : dès juillet 2025, la Commission européenne propose son cadre commun (cf. 0,12-0,36 €/ml plancher). Et au niveau national, la nouvelle ministre de la Santé Catherine Vautrin (nommée mi-2025) a laissé entendre qu'une taxation « modérée » pourrait être discutée dans les années à venir pour financer la lutte anti-tabac.
En clair, le retrait des amendements en 2024 n'est qu'un répit temporaire. La taxation de la vape en France reste très probable d'ici 2026, que ce soit par transposition européenne ou par volonté nationale. Si elle intervient sans discernement (c'est-à-dire sans taux réduit pour les liquides sans nicotine ou pour les systèmes ouverts), elle risque d'accélérer la concentration du marché au profit des cigarettiers et de faire grimper les prix des produits de vape de 20 à 30%, avec le risque de détourner certains vapoteurs de leur produit de sevrage (voire de les faire revenir au tabac).
3.1.3 L'Interdiction des Arômes : Le Débat Central
En mars 2025, un événement majeur vient renforcer le tournant réglementaire anti-vape : la France, accompagnée de 11 autres États membres de l'UE (Pays-Bas, Belgique, Estonie, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Slovénie, Espagne), adresse une lettre commune à la Commission européenne demandant une interdiction des arômes dans les produits de vapotage à l'échelle de l'UE. Ces pays estiment que les e-liquides aromatisés (fruités, gourmands) attirent les jeunes et nuisent aux efforts de prévention tabagique.
À ce jour, sept pays ont déjà banni les arômes (hors saveurs tabac, et parfois menthol) dans les e-liquides : la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, l'Estonie, le Danemark, les Pays-Bas et la Hongrie. Trois pays ont annoncé ou entamé des restrictions similaires : l'Allemagne discute d'une interdiction des arômes pour les e-cigs jetables, la République tchèque a durci les ingrédients autorisés (voir plus loin), la Slovénie prévoit une interdiction d'ici 2026.
Selon une étude Xerfi, une réglementation sur ce modèle (autoriser seulement l'arôme tabac neutre) pourrait « entraîner une chute d'environ 50% des ventes » de la filière vape. En effet, les arômes jouent un rôle crucial dans l'attrait du vapotage pour les fumeurs : la diversité des saveurs procure du plaisir au sevrage, maintient la motivation et évite la monotonie qui conduit souvent à la rechute. On sait d'après les enquêtes qu'une large majorité de vapoteurs préfèrent les saveurs fruitées ou gourmandes (plus de 60% des utilisateurs en France vapotent autre chose que du tabac ou menthol). Leur retirer ces options risque de rendre la vape moins attractive et d'en pousser certains vers le marché noir ou le tabac.
La Cochrane, dans une revue sur les aides à l'arrêt, souligne que la variété des saveurs est un atout pour le vapotage : elle augmente les chances de trouver un e-liquide agréable qui permettra de délaisser la cigarette sur la durée. À l'inverse, limiter aux seuls arômes tabac (ce que les vapoteurs détestent généralement, car cela rappelle le goût de la cigarette qu'ils cherchent à fuir) pourrait être contre-productif.
3.1.4 Les Fuites avant la COP11 : Des Mesures Drastiques en Préparation ?
Avertissement : Les informations suivantes proviennent d'une fuite non vérifiée officiellement, révélée par le site « Pouch Patrol ». Il ne s'agit pas de documents officiels de l'OMS. Elles doivent être considérées avec prudence en attendant une confirmation, mais elles donnent une idée du climat.
La dixième Conférence des Parties (COP10) de la convention-cadre anti-tabac de l'OMS, tenue au Panama en novembre 2023, avait déjà abordé le sujet du vapotage. Il y fut question des arômes, de la taxation, de la publicité, sans aboutir à des décisions contraignantes – notamment en raison des désaccords entre pays (certains voulant l'interdiction pure, d'autres une approche plus nuancée). Finalement, la COP10 a juste réitéré des recommandations générales (comme celle d'interdire les arômes) mais renvoyé les décisions à plus tard.
Or, selon Pouch Patrol (qui cite des sources internes à la Commission européenne), un cadre réglementaire ultra-restrictif serait en préparation pour la COP11 prévue à Genève du 19 au 24 novembre 2025. Les mesures évoquées incluent :
- Interdiction complète des sachets de nicotine (produit récent type nicopouches, pourtant sans tabac et sans combustion) ;
- Bannissement de tous les arômes dans les produits de vapotage (monde entier) ;
- Interdiction des allégations comparatives (par exemple, un fabricant ne pourrait plus dire qu'un e-liquide est sans tel additif ou délivre moins de substances nocives) ;
- Renversement de la charge de la preuve : ce serait aux fabricants de prouver l'innocuité de leurs produits, avec sanctions légales en cas de problème (approche qui pourrait paralyser l'innovation) ;
- Nouvelles restrictions sur tous les produits nicotiniques (possiblement abaisser la concentration maximale, limiter les volumes, etc.).
Bien que cette fuite ne soit pas confirmée, on constate que la Commission européenne a adopté une ligne de plus en plus dure envers la vape au cours de 2023-2025. Par exemple, le 20 juin 2025 lors d'un Conseil des ministres de la santé de l'UE, douze pays ont officiellement appelé à interdire les arômes partout. En juillet 2025, la Commission a publié la proposition de taxe dont on a parlé (0,12-0,36 €/ml).
Il se pourrait donc que la COP11 voie une coalition de pays (UE et d'autres) pousser pour un durcissement international, même si l'OMS elle-même ne peut imposer que des recommandations. Certains craignent un scénario à l'australienne généralisé, qui serait un désastre de santé publique selon nombre d'experts (voir section IV pour le cas australien).
3.1.5 La Directive TPD3 : L'Inconnue de 2027
Enfin, au-delà des actions immédiates (taxes, COP11), se profile la révision générale de la directive européenne sur les produits du tabac (TPD). La directive actuelle (2014/40/UE dite TPD2) encadre aussi les e-cigarettes (limite de 20 mg/ml de nicotine, flacons de 10 ml max, réservoirs 2 ml, mentions obligatoires, etc.). Une TPD3 est envisagée horizon 2026-2027 pour remettre à plat ces règles.
Aucune ébauche officielle n'a encore fuité, mais les discussions préliminaires au sein de la Commission laissent entendre plusieurs pistes :
- Étendre le paquet neutre (ou du moins des emballages standardisés sans marketing) aux e-liquides et e-cigarettes, comme c'est le cas pour les cigarettes de tabac ;
- Abaisser éventuellement la concentration maxi de nicotine (certains suggèrent 10 mg/ml au lieu de 20 mg/ml, ce qui poserait problème aux gros fumeurs ayant besoin de forts dosages) ;
- Renforcer la sécurité enfants des dispositifs ;
- Et surtout, intégrer les nouvelles catégories (puffs, sachets de nicotine, tabac chauffé) dans le champ réglementaire avec possiblement des interdictions partielles (comme sur les arômes ou la publicité).
La France, par la voix de Catherine Vautrin en juillet 2025, a déjà annoncé la couleur : elle souhaite « lutter contre l'attractivité de ces produits auprès des mineurs et des non-fumeurs en réduisant le nombre d'arômes autorisés ». Seraient visés les arômes « gourmands, fruités, frais et mentholés », sans calendrier précis pour l'instant (cela pourrait se faire via la TPD3 ou plus tôt par un décret national). Mme Vautrin envisage également d'obliger les fabricants à utiliser un emballage neutre pour les flacons d'e-liquides, afin de les rendre moins attractifs visuellement.
En somme, la période 2024-2027 s'annonce comme un tournant législatif majeur pour le vapotage en Europe. Au lieu d'une normalisation progressive de la vape comme outil de sevrage (ce qu'espéraient les acteurs de santé publique pro-vape), on se dirige vers un serrage de vis généralisé inspiré du modèle de régulation du tabac, voire de la prohibition pure et simple pour certaines catégories (les puffs en France en sont un exemple).
3.2 Les Mesures Nationales Restrictives
Outre le niveau européen, de nombreux pays ont pris ou prennent des mesures restrictives nationales, souvent de manière désynchronisée. Voici quelques exemples marquants :
3.2.1 France : Interdiction des Puffs et Renforcement des Sanctions
Nous en avons déjà largement parlé : la France a franchi un cap significatif avec la loi n°2025-175 du 25 février 2025 qui interdit « la détention en vue de la vente, de la distribution ou de l'offre à titre gratuit, la mise en vente, la vente, la distribution ou l'offre à titre gratuit des dispositifs électroniques de vapotage qui sont préremplis avec un liquide et ne peuvent être remplis à nouveau ». Cette définition vise clairement les cigarettes électroniques jetables (puffs). L'interdiction est entrée en vigueur immédiatement, sans période de transition pour écouler les stocks, mettant brutalement hors la loi des millions de produits qui étaient encore en rayons en janvier.
Depuis juillet 2025, les sanctions en cas de vente aux mineurs (tabac ou vape) ont été doublées : le non-respect de l'interdiction de vente aux <18 ans est passé de 750 € d'amende (contravention 4e classe) à 1 500 € (5e classe), et 3 000 € en cas de récidive. C'est la peine maximale pour une contravention. L'objectif affiché est de renforcer l'effet dissuasif, mais encore faut-il contrôler (or, comme on l'a vu, les contrôles sont rarissimes).
Par ailleurs, la réglementation sur la publicité et la promotion, déjà très stricte depuis 2016, s'est encore durcie : aujourd'hui, toute description "séduisante" ou visuel attractif sur les sites web de vape est prohibé s'il est visible du grand public. Les promos, soldes, etc. ne peuvent être communiqués qu'à une clientèle existante via des canaux privés (newsletters sur opt-in, espace client, etc.). L'idée est d'éviter toute incitation pour un non-vapoteur. Concrètement, un site de vape français ne peut plus afficher autre chose que des descriptions factuelles très neutres de ses produits. Certains ont comparé ça à la vente de médicaments sur ordonnance.
Bilan contrasté
Officiellement, le gouvernement se félicite de ces mesures et annonce « la fin des puffs en France ». Dans la réalité, comme relaté en introduction, les puffs restent facilement disponibles. Huit mois après l'interdiction, la DGCCRF a admis avoir contrôlé 160 établissements (sur sans doute plus de 30 000 points de vente potentiels) et trouvé 13 infractions. Ce chiffre anecdotique (8% de fraude parmi 0,5% de lieux contrôlés…) cache une autre vérité : tout un pan du commerce a basculé dans l'informel ou l'illicite.
Les retours de terrain indiquent que de nombreuses épiceries de quartier continuent discrètement à vendre des puffs sous le manteau ; sur les réseaux sociaux (Snapchat, Instagram), de multiples comptes proposent des livraisons de puffs à domicile en 24h sans vérification d'âge ; des sites web basés à l'étranger (Espagne, Belgique) expédient en France. Même certaines enseignes de grande distribution ont été prises en flagrant délit de vente de puffs sous d'autres appellations (exemple : un « dispositif rechargeable pré-rempli » avec port USB, contournant la lettre de la loi).
En somme, l'interdiction des puffs en France illustre un écart criant entre la loi et la réalité. Les acteurs respectueux de la loi (boutiques spécialisées sérieuses) ont retiré les produits et en payent le prix économique, tandis que les acteurs peu scrupuleux ou clandestins prospèrent dans le vide laissé. Le tout sans bénéfice clair pour la santé publique, puisque les produits continuent à circuler, mais cette fois sans aucun contrôle qualité ni vérification d'âge.
Augustin le vapoteur résume : « Mes anciens clients achètent leurs puffs sur internet ou à l'épicerie, sans conseil ni contrôle. Des gamins de 14 ans commandent en ligne avec la CB des parents. L'interdiction a parfaitement réussi… à détruire le circuit responsable. »
Les conséquences économiques de cette mesure se font sentir : nous avons mentionné plus haut les fermetures de boutiques (plus de 400 en 7 mois) et les pertes d'emplois (près de 1 850). Des témoignages comme celui de Sophie M., ex-gérante d'une boutique à Dreux, sont éloquents : « Les puffs représentaient 40% de mon CA. Sans elles, plus assez de flux, plus de nouveaux clients. Mes fidèles se sont fait démarcher par l'épicerie d'à côté qui en vend sous le manteau… J'ai tenu quelques mois à perte, puis j'ai dû fermer en juillet. »
Plus alarmant, on observe des signaux d'une possible remontée du tabagisme. Les données des Douanes montrent qu'entre janvier et août 2025, les ventes officielles de cigarettes ont augmenté de +4,2% en volume par rapport à la même période de 2024 (après 4 ans de baisse continue). Certes, cela peut s'expliquer en partie par l'effet post-COVID et la baisse du transfrontière, mais la coïncidence avec la crise de la vape est troublante. Des enquêtes locales (OFDT flash juin 2025) auprès de lycéens indiquent que parmi ceux qui avaient réduit ou arrêté le tabac grâce aux puffs en 2024, 41% ont augmenté de nouveau leur consommation de cigarettes après l'interdiction des puffs (faute d'alternative accessible). Ce ne sont pour l'instant que des données ponctuelles, mais elles rappellent le principe de réalité : interdire un produit moins nocif alors que le plus nocif reste en vente libre risque de pousser une partie des usagers vers ce dernier.
Enfin, un effet pervers commence à être pointé : la concentration du marché entre les mains des buralistes. En France, environ 55-60% des e-liquides étaient déjà vendus en bureau de tabac en 2022 (notamment les pods des cigarettiers). Avec la crise, ce chiffre a grimpé vers 70%. Or les buralistes, dont 80% du revenu dépend du tabac, ont un conflit d'intérêt structurel : chaque client qui arrête de fumer est une perte pour eux. Beaucoup d'observateurs s'inquiètent de voir la vape – solution anti-tabac – confiée pour l'essentiel à un réseau de vente dont la survie dépend du tabagisme. Ce paradoxe n'est pas résolu, et pourrait s'aggraver si les boutiques spécialisées indépendantes disparaissent.
3.2.2 Belgique : Interdiction de Visibilité et des Jetables
La Belgique a adopté une approche très stricte en 2024-2025 : elle est devenue le premier pays de l'UE à interdire la vente de cigarettes électroniques jetables dès le 1ᵉʳ janvier 2025 (un mois avant la France). Plus radicalement encore, une loi entrée en vigueur le 1ᵉʳ avril 2025 impose à tous les magasins de retirer de la vue du public les produits du tabac et du vapotage. Ce display ban signifie concrètement qu'on ne peut plus voir de cigarettes, tabac à rouler, e-liquides ou e-cig sur les étagères des librairies ou vape shops belges : ces produits doivent être cachés (sous comptoir, dans une armoire fermée). Le client ne peut les demander que s'il sait qu'ils existent et qu'ils sont là. L'objectif affiché est de réduire l'attractivité visuelle, notamment pour empêcher l'achat impulsif par les jeunes.
Les premiers retours indiquent que les buralistes belges ont dû investir dans des meubles spéciaux fermés. Les boutiques de vape, elles, se plaignent d'une absurdité : comment conseiller un client novice si on ne peut même pas lui montrer les produits ? Beaucoup contournent en affichant des photos sur un catalogue ou écran. Quoi qu'il en soit, la Belgique donne un aperçu de ce qui pourrait arriver ailleurs : l'assimilation totale de la vape au tabac sur le plan de la visibilité et de la publicité (zéro exposition).
À noter que la Belgique songe aussi à aligner la fiscalité de la vape sur celle du tabac (elle a déjà une petite taxe, et pourrait la hausser).
3.2.3 Royaume-Uni : La Loi Générationnelle en Cours d'Adoption
Le Royaume-Uni, fidèle à sa politique anti-tabac ambitieuse, est en passe d'adopter une mesure historique inspirée de la Nouvelle-Zélande : le Tobacco and Vaping Products Bill 2025 contient une disposition instaurant une « loi générationnelle » anti-tabac. Cela signifie qu'à partir d'une cohorte donnée (par exemple, tous ceux nés en 2009 et après), la vente de tabac sera progressivement interdite quel que soit l'âge : en 2025 les nés en 2009 ont 16 ans (de toute façon mineurs) ; en 2027 ils auront 18 ans mais ne pourraient pas acheter du tabac car la loi le leur interdira à vie ; et ainsi de suite, l'âge légal de l'achat de tabac augmentera chaque année. Au bout de quelques décennies, plus aucun Britannique ne sera autorisé à acheter des cigarettes, éliminant le tabagisme sur le long terme.
Ce projet, soutenu par le gouvernement Sunak, a franchi une étape majeure le 26 mars 2025 en passant sa troisième lecture à la Chambre des Communes. Actualisé au 12 octobre 2025, le texte est en examen à la Chambre des Lords (sous le nom HL Bill 89). Il devra y être approuvé, possiblement amendé, puis revenir aux Communes, avant de recevoir le Royal Assent. Le calendrier probable est une adoption définitive fin 2025 ou début 2026.
Parallèlement, le Royaume-Uni maintient son approche favorable au vapotage : aucune mesure restrictive significative n'a été prise sur la vape (hors encadrement existant depuis 2016). Au contraire, le gouvernement a lancé à l'automne 2023 l'initiative « Swap to Stop » offrant 1 million de kits de vape gratuits aux fumeurs pour les aider à arrêter. L'objectif national est d'atteindre 5% de fumeurs en 2030 (« Smoke-free 2030 »), et la vape est vue comme un outil central pour y parvenir.
En résumé, l'UK est en train de durcir radicalement contre le tabac tout en encourageant la vape, symbolisant une philosophie opposée à celle de l'Australie ou, dans une certaine mesure, de l'UE continentale.
3.3 Cartographie Européenne : État des Lieux (Octobre 2025)
L'Europe est un patchwork de réglementations sur le vapotage, rendant la situation complexe pour les acteurs du secteur et les utilisateurs. Voici un tour d'horizon simplifié des mesures en vigueur ou imminentes dans plusieurs pays clés :
Pays ayant pris des restrictions majeures
• Belgique – Interdit les jetables depuis 01/01/2025. Display ban total depuis 01/04/2025 : plus aucun produit de tabac ou de vape visible en magasin. Les paquets de cigarettes étaient déjà neutres depuis 2020, et les pubs interdites. En pratique, les vape shops belges fonctionnent un peu « à l'aveugle » ; certains dénoncent une atteinte au droit de présentation de produits légaux. Le gouvernement surveille aussi de près les puffs : des saisies ont eu lieu en 2023 (200 000 puffs illégales détruites).
• Pays-Bas – Interdiction quasi totale des arômes dans les e-liquides depuis octobre 2023. Le RIVM (Institut néerlandais de santé publique) a listé seulement 16 composés aromatiques autorisés extrêmement basiques, ne permettant en gros que des saveurs tabac un peu sèches. Résultat : tous les e-liquides fruités, gourmands, etc., ont disparu du marché légal. Les boutiques NL ne vendent plus que du « brown juice ». Impact : une chute importante des ventes légales (estimée -50% sur un an) et un essor du commerce transfrontalier (beaucoup de vapoteurs NL vont en Belgique ou en Allemagne acheter des arômes). Les autorités néerlandaises assument ce choix au nom de la protection de la jeunesse.
• Allemagne – Taxation nationale progressive : l'Allemagne a introduit en 2022 une accise sur tous les e-liquides (même sans nicotine) via la loi TabStMoG. Le calendrier : 2022 = 0,16 €/ml ; 2024 = 0,20 €/ml ; 2025 = 0,26 €/ml (en vigueur) ; 2026 = 0,32 €/ml (prévu). Cela fait partie d'une modernisation de la fiscalité du tabac pour intégrer la vape. Par ailleurs, l'Allemagne a interdit les arômes dans le tabac chauffé (IQOS) en 2023, et quelques Länder envisagent d'interdire la vente des puffs aux <18 ans (mais c'est déjà la loi fédérale de toute façon). Il y a un débat en 2025 au Bundestag sur l'interdiction des e-liquides aromatisés mais aucune loi n'est encore passée sur ce point. La puissante association des buralistes allemands (BVT) y est opposée.
• France – Interdiction des puffs depuis 25/02/2025. Sanctions renforcées sur ventes aux mineurs depuis mi-2025 (amendes doublées). Publicité restreinte encore davantage (plus aucune communication grand public autorisée). Taxe en suspens (voir plus haut) mais probable à moyen terme. La France pourrait aussi, par arrêté ministériel, réduire la liste d'arômes autorisés d'ici 2026 (Catherine Vautrin l'a évoqué).
Pays avec interdiction d'arômes (tous arômes sauf tabac/menthol)
• Finlande – Arômes interdits dès 2016 (pays précurseur) sauf menthol. La Finlande a également une stratégie Endgame 2030 pour tomber à <5% de fumeurs. Elle taxe lourdement la vape (~0,30 €/ml). Le marché légal de la vape y est quasi-inexistant aujourd'hui, beaucoup commandent à l'étranger. Le tabagisme y est à ~16%.
• Danemark – Arômes bannis en avril 2022 (sauf tabac et menthol). Ils ont imposé le paquet neutre aux e-liquides, et une taxe modérée (2 DKK/ml). Résultat, la moitié des boutiques ont fermé et un marché noir d'arômes DIY s'est développé.
• Estonie, Lettonie, Lituanie – Les trois pays baltes ont successivement interdit les arômes : Lituanie en 2020, Estonie 2021, Lettonie 2020. Ce sont des pays où le tabagisme reste très élevé (>30%). Les premiers bilans indiquent une hausse du tabagisme chez les jeunes suite à ces interdictions (par ex, la Lettonie a vu le taux de fumeurs 15-24 ans remonter de 3 points entre 2020 et 2023, coïncidant avec l'interdiction des liquides aromatisés). Il est possible que l'augmentation du tabac chauffé (+150% en Lituanie comme on l'a vu) ait également capté les usagers frustrés par la fin des arômes.
• Hongrie – Interdiction des arômes sauf tabac depuis 2021. La Hongrie a carrément confié la distribution de la vape à un monopole d'État (comme pour le tabac). Le vapotage y est donc marginalisé.
Pays en transition ou avec mesures spécifiques
• République tchèque – Longtemps l'un des plus libéraux, ce pays a brusquement durci le ton en septembre 2025 après un scandale : l'hospitalisation de neuf adolescents intoxiqués par des e-liquides trafiqués aux cannabinoïdes synthétiques. Prague a notifié à l'UE un décret d'urgence comprenant :
– Interdiction totale de tout ajout de cannabinnoïdes, de vitamines, de caféine, de colorants, de sucralose, etc., dans les e-liquides (fermant les portes aux extraits exotiques) ;
– Limitation de certains arômes « sucrés » (tout ce qui rappelle confiserie est banni) ;
– Obligation d'emballages neutres et d'étiquettes renforcées (avec pictogrammes explicites -18 et avertissements femme enceinte) ;
– Restrictions marketing drastiques (plus le droit d'utiliser des noms évocateurs de bonbons ou de donner une image ludique) ;
– Restrictions techniques : un kit jetable ne pourra contenir qu'un seul réservoir (c'est déjà le cas en pratique), et un kit rechargeable ne devra pas être vendu avec plus de 3 cartouches (sinon c'est assimilé à du multi-pack promotionnel) ;
– Délai de 7 mois pour écouler les stocks non conformes, puis poubelle.
Ce décret tchèque est l'exemple d'une régulation-coup de poing en réaction à un fait divers. Il est possible qu'il serve d'inspiration à d'autres pays en cas de problèmes sanitaires (comme ce fut le cas aux USA avec EVALI, qui a entraîné des bans d'arômes dans plusieurs États).
• Irlande – Pays encore sans taxe, mais le gouvernement a annoncé en 2023 vouloir interdire la vente de vapes aux <18 ans (curieusement l'Irlande n'avait pas de loi précise l'interdisant, s'appuyant sur l'auto-régulation). C'est chose faite depuis juillet 2023 : plus de vente aux mineurs, et interdiction de la publicité dans l'espace public. L'Irlande envisage aussi d'interdire les arômes (sujet en consultation en 2025). Le tabagisme y stagne à ~18%.
• Espagne – L'Espagne a transposé tardivement la TPD. En 2023, elle a interdit le vapotage dans certains lieux publics (assimilés aux espaces sans tabac). Elle a aussi une petite taxe (0,025 €/ml) depuis 2022. Pas d'interdiction d'arômes pour l'instant, mais elle a cosigné la lettre de mars 2025 pour en demander une au niveau UE. Le nouveau gouvernement (2023) est plus conservateur sur le sujet.
• Italie – L'Italie a eu une taxation très lourde (0,08 €/ml + 0,04 €/ml nicotine) imposée en 2014, qui a détruit 3/4 du marché légal. Puis ils ont allégé cette taxe en 2019 après des décisions de justice (ramenée à ~0,10 €/ml pour nicotiné et 0,05 €/ml sans nico). L'Italie a environ 800k vapoteurs réguliers. Elle n'a pas interdit les arômes (le gouvernement Meloni n'a pas mis ce sujet en avant). Cependant, la mafia est très présente sur le commerce de tabac de contrebande et commence aussi à toucher la contrebande de liquides.
• Suède – La Suède fait figure d'exception positive : elle a atteint 5,6% de fumeurs en 2022 (grâce au snus surtout). Sur la vape, elle n'a pas interdit les arômes, et a une taxe modérée (2 kr/ml ~0,18 €). La Suède défend au niveau européen une approche réduction des risques (elle a voté contre l'interdiction des arômes). Fait notable : c'est le seul pays d'Europe à avoir un gouvernement ouvertement pro-vape, ce qui a conduit l'OMS à le critiquer paradoxalement alors qu'il sera le premier "Smoke-free nation".
IV. Le Cas Australien : Anatomie d'un Échec Réglementaire
4.1 La Politique de l'Australie : Intentions vs Réalité
L'Australie représente un cas d'école édifiant – et inquiétant – de ce qui se produit lorsque des politiques ultra-prohibitionnistes sont appliquées au vapotage. Ce pays a depuis longtemps adopté une ligne dure : dès 1989, la nicotine (hors tabac et substituts) y est classée comme poison dangereux de catégorie 7, ce qui interdisait de facto la vente de e-liquides nicotinés. Durant les années 2010, malgré la pression de certains médecins, l'Australie a continué à refuser la vape en vente libre.
Entre 2021 et 2023, sous l'impulsion du ministre de la Santé Mark Butler, l'Australie a encore durci la vis : interdiction progressive de toute vape dite « récréative ». Les mesures ont culminé en juillet 2023 avec un plan drastique :
- Interdiction de vente de toute e-cigarette sauf en pharmacie sur ordonnance médicale (et encore, sous des conditions très strictes) ;
- Interdiction d'importation de produits de vape sans licence ;
- Interdiction des puffs jetables immédiate ;
- Limitation des arômes aux arômes tabac uniquement sur les produits autorisés (censés être vendus en pharmacie) ;
- Packaging standard neutre pour les produits de vape autorisés ;
- Diminution de la concentration maximale de nicotine (passée à 20 mg/ml, ce qui alignait sur l'Europe – avant c'était pas encadré puisque c'était interdit).
L'objectif affiché par Butler était clair : « Protéger les Australiens, en particulier les jeunes, des méfaits du vapotage et de la dépendance à la nicotine », et éviter une génération de vapoteurs. En somme, l'Australie a traité la vape comme une menace équivalente à la meth ou aux opioïdes, choisissant l'interdiction totale hors usage médical.
4.2 L'Explosion du Marché Noir
Un an après la mise en place de la "vape sur ordonnance", le résultat est catastrophique sur tous les plans. Selon le Dr Colin Mendelsohn (expert australien en réduction des risques) et les données de l'Agence du Crime (ACIC) : entre 70% et 90% des produits de vapotage circulant en Australie en 2024 seraient désormais illégaux. Autrement dit, le marché noir a littéralement pris le contrôle.
Données officielles – ACIC
Le rapport Illicit Tobacco Report 2024 de l'Australian Criminal Intelligence Commission (ACIC) indique qu'au moins 70% du marché du vapotage est passé dans l'illégalité, estimation qualifiée de conservatrice. Il décrit une « professionnalisation rapide » du trafic, avec l'implication de groupes criminels organisés (dont certains cartels impliqués dans la drogue dure).
Douanes : Les saisies aux frontières explosent. En avril 2024, l'Australian Border Force a intercepté plus de 1,5 million de cigarettes électroniques illégales en un seul lot. En Australie du Sud, 105 000 e-cigs confisquées depuis décembre 2024. Dans le Queensland, 170 000 produits saisis en un an. Au total, les saisies de produits de vape ont augmenté de +1400% depuis 2021. Un marché noir évalué à 2,7 milliards de dollars australiens s'est développé (soit environ 1,7 milliard €), profitant entièrement au crime organisé.
Ce marché noir se distingue par des marges énormes : une puff achetée 3 AUD en Chine se revend jusqu'à 35 AUD en Australie. Selon les estimations, en 2025 la vape illicite représente 92% du marché total de la vape en Australie (le marché légal s'étant effondré), et environ 40% du marché du tabac (car parallèlement la contrebande de cigarettes explose aussi du fait des prix très élevés).
4.3 Conséquences Sanitaires et Sociales
Avec des produits non contrôlés circulant massivement, les autorités sanitaires australiennes sont dans le noir quant à la composition de ce qui est consommé par les jeunes. Des analyses ponctuelles ont révélé des e-liquides contenant des substances toxiques non déclarées, des taux de nicotine erratiques (parfois 50 mg/ml alors que c'est censé être 20, ou l'inverse 0 alors que l'acheteur croit consommer de la nicotine), voire des cannabinoïdes de synthèse (d'où les accidents mentionnés).
Plus dramatique, l'interdiction a déclenché une vague de violence criminelle : des commerces clandestins se disputent le territoire à coups d'intimidation, des livraisons se font sous protection armée. Des petits revendeurs se sont fait tabasser ou braquer par des gangs voulant contrôler l'approvisionnement. À Sydney et Melbourne, la police a rapporté des incidents de fusillades liés à la « guerre des vapes ».
Le chef de l'Australian Border Force a tiré la sonnette d'alarme début 2024 en déclarant qu'il était incapable de contenir le flux de contrefaçons qui entrent : le littoral australien immense est impossible à surveiller intégralement. C'est une situation qui rappelle la Prohibition de l'alcool aux USA dans les années 1920.
4.4 L'Échec de la Distribution Pharmaceutique
Le pilier censé remplacer le marché libre – c'est-à-dire la distribution en pharmacies sur ordonnance – s'est effondré sur lui-même. Moins de 1% des pharmacies australiennes acceptent de vendre des produits de vapotage nicotinés, selon la Pharmacy Guild of Australia. La plupart ont refusé de participer, invoquant la complexité administrative, la responsabilité légale, la faible demande (les fumeurs ne vont pas chez le médecin pour ça de toute façon).
Côté médecins, seul environ 1 médecin généraliste sur 20 est autorisé par la TGA (Therapeutic Goods Administration) à prescrire la vape. En chiffres : sur 104 000 médecins, 2 847 avaient demandé et obtenu l'autorisation spéciale. Beaucoup n'en voient pas l'intérêt ou ont des réticences idéologiques. Résultat, un goulet d'étranglement kafkaïen : un fumeur doit trouver un médecin parmi ces 3 000 (souvent très éloigné géographiquement) prêt à lui faire l'ordonnance, puis trouver une pharmacie qui veut bien commander un kit (souvent, ils ne stockent rien, il faut attendre), tout ça pour un produit plus cher et moins varié que sur Internet. Autant dire que presque personne ne suit ce parcours du combattant.
Face à l'évidence de l'échec, le gouvernement fédéral a commencé à assouplir timidement certaines règles. Fin juin 2024, sous la pression des Verts, une modification a été faite : posséder des produits de vape pour usage personnel n'est plus un délit (on ne criminalise plus l'utilisateur final). De plus, l'ordonnance médicale n'est plus strictement obligatoire pour acheter en pharmacie (les pharmaciens peuvent vendre un produit nicotiné sans voir l'ordonnance, du moment que l'acheteur déclare en avoir une – mesure un peu hypocrite pour simplifier les choses). Mais ces ajustements mineurs n'ont pas inversé la dynamique de marché noir, car aucune incitation ne ramène les consommateurs vers le canal légal quasi-inexistant.
4.5 Le Paradoxe Tragique : Les Populations Aborigènes
Un aspect moral particulièrement dur de la politique australienne concerne les communautés aborigènes. Celles-ci affichent des taux de tabagisme catastrophiques (45% des adultes autochtones fument, contre ~15% chez les non-Autochtones), et en subissent la mortalité correspondante. Le Dr Kelvin Kong, un chirurgien ORL aborigène renommé, a fustigé publiquement l'interdiction du vapotage comme « un paternalisme sanitaire qui perpétue le génocide lent par la cigarette ». Il explique : « On interdit l'outil qui pourrait sauver mon peuple du tabac, sous prétexte de protéger… qui exactement ? Certainement pas nos communautés, où le tabac fait rage. »
En effet, les aborigènes, souvent isolés dans le bush, n'ont même pas accès aux quelques pharmacies en ville. Le vapotage s'y fait donc uniquement via des circuits illégaux s'il s'y fait. Le gouvernement n'a pas prévu de solution particulière pour eux, ce qui est perçu comme une injustice de plus à leur égard (d'où les mots très forts de Kelvin Kong évoquant un génocide par l'inaction).
4.6 Les Leçons à Tirer
Le Dr Colin Mendelsohn résume parfaitement la leçon australienne : « La position anti-vape stricte de l'Australie a, de façon prévisible, nourri une économie souterraine florissante – un scénario qui rappelle les échecs des prohibitions de drogues du XXe siècle. La seule façon de réduire significativement un marché illicite est de le remplacer par un marché légal et réglementé, avec des produits vendus dans des points de vente agréés et un contrôle de qualité, y compris la vérification de l'âge. »
Une enquête d'opinion en 2023 a montré que 88% des Australiens se disaient favorables à une réglementation plus souple des produits de vapotage, n'adhérant pas à la prohibition actuelle. Cela montre un profond décalage entre la volonté populaire et les décisions politiques – l'Australie est censée être une démocratie libérale, et pourtant sur ce sujet elle agit comme un état paternaliste autoritaire.
Le cas australien illustre de manière dramatique ce que nous appelons « l'irrationalité institutionnalisée ». Une politique adoptée au nom de la santé publique produit exactement l'inverse de l'objectif affiché : plus de jeunes exposés à des produits non contrôlés, un nouveau marché criminel enrichissant les mafias, un recul de la protection sanitaire, et possiblement un frein à la baisse du tabagisme (puisque les fumeurs n'ont plus accès à l'alternative). Tout cela au nom du principe de précaution… On peut difficilement imaginer un échec plus complet.
4.7 Et en Europe ? Les Signaux du Marché Noir
L'Europe n'en est pas (encore) au stade australien, mais des signaux précoces apparaissent d'une montée de l'illégal si la pression réglementaire augmente. Europol et l'OLAF (Office européen antifraude) ont mentionné en 2024-2025 une augmentation notable des flux illicites de cigarettes électroniques et d'e-liquides en Europe.
Tendances du marché noir européen
• Multiplication de sites de production clandestine d'e-liquides en Europe de l'Est, contournant les notifications obligatoires. En 2023, la police polonaise a démantelé un labo produisant 1000 flacons par jour de liquides non déclarés, vendus en ligne dans toute l'UE.
• Contrebande transfrontalière : Comme on pouvait s'y attendre, les pays sans taxe ou à faible taxe deviennent fournisseurs des pays à taxe élevée. Par exemple, on a constaté en 2025 un trafic de liquides depuis l'Autriche (0 taxe) vers l'Italie et l'Allemagne (forte taxe). De même, les liquides néerlandais aromatisés (devenus illégaux aux Pays-Bas) sont importés massivement de Belgique ou d'Allemagne où ils sont légaux.
• Contrefaçons dangereuses : OLAF a saisi plus de 3 millions d'unités de produits de vape non conformes en 2024, dont certains contenaient : des concentrations de nicotine extravagantes (jusqu'à 200 mg/ml, alors que la limite UE est 20), des substances interdites comme le diacétyle en quantités toxiques, des métaux lourds (plomb, cadmium) dans les résistances de copies de pods, etc. Ces contrefaçons proviennent souvent de Chine, via des circuits parallèles.
• Vente en ligne offshore : De nombreux sites basés hors UE (Suisse, Chine, Russie) vendent et expédient sans se soucier des normes ni de l'âge. Tant que la répression n'est pas coordonnée, ils prospèrent.
Europol estime qu'en 2024 le marché noir représente 5% à 15% du marché de la vape en Europe selon les pays, avec une croissance de +30-40% par an dans ceux ayant récemment serré la vis (Pays-Bas, Belgique). Ils notent aussi une corrélation directe : plus la taxe est élevée, plus la part du marché illicite est grande. Ainsi, en Estonie (taxe très haute de 0,20 €/ml de 2018 à 2020), le marché noir de liquides a atteint 40% des volumes, au point que le gouvernement a dû suspendre la taxe en 2021 pour assécher le blackmarket.
En clair, l'Europe n'est pas immunisée contre un scénario à l'australienne, simplement le cadre est différent. Mais si d'aventure les arômes étaient interdits partout et les taxes élevées imposées, on peut s'attendre à voir refleurir sous le manteau la vente d'arômes concentrés à mélanger (difficiles à interdire car ce sont des produits multi-usages), de kits DIY, de liquides importés, etc. Le tout sans contrôle. Les douanes françaises ont déjà saisi des milliers de puffs contrefaites en 2023 (venant de Chine via l'Espagne).
Comme souvent, la demande des consommateurs ne disparaît pas par la loi : elle se reporte vers d'autres canaux. C'est un enseignement qu'il serait moins coûteux de retenir en amont que de subir en aval.
4.8 L'Impact Environnemental : L'Angle Mort du Débat
Un volet souvent négligé du débat sur le vapotage concerne son impact environnemental. Ironiquement, c'est l'argument qui a le plus servi pour justifier l'interdiction des puffs en France (C. Beaune, ministre Transports, s'est saisi du sujet sous l'angle écologique).
Les dispositifs de vapotage, en particulier les jetables, génèrent des déchets électroniques (batteries lithium, plastiques, circuits imprimés) qui posent problème s'ils ne sont pas collectés et recyclés correctement.
Rapport OCDE 2024
L'OCDE a publié une étude sur les déchets de e-cigarettes. Elle estime que les pays de l'OCDE génèrent environ 500 000 tonnes de déchets liés au vapotage par an (bouteilles plastique, batteries, emballages). Plus de 300 millions de petites batteries lithium-ion partent à la poubelle chaque année via les puffs, représentant environ 10 000 tonnes de lithium non récupéré. Le taux de collecte est très faible : moins de 15% des e-cig usagées finissent dans les filières de recyclage appropriées (contre ~45% pour les piles classiques grand public). Coût pour les collectivités : l'OCDE estime à 200-300 millions € par an en Europe le coût de nettoyage/traitement des déchets de vapotage abandonnés.
Les puffs sont évidemment les pires : un dispositif jetable de 2 ml produit 15 à 20 fois plus de déchets (par ml consommé) qu'un dispositif rechargeable utilisé plusieurs mois.
Solutions envisagées : consigne sur les e-cigs jetables, filière REP (Responsabilité Élargie du Producteur) obligatoire pour la vape, interdiction pure et simple des jets (ce que fait la France), développement de systèmes rechargeables et modulaires, etc.
L'interdiction française des puffs, si elle avait été appliquée efficacement, aurait eu un impact environnemental positif (moins de jets dans la nature). Hélas, le marché noir persistant annule en partie ce bénéfice, puisque les puffs continuent à être consommées, mais hors filière de recyclage. C'est un cas d'école où une bonne intention écolo (réduire les déchets) est affaiblie par une mauvaise planification (pas de plan de collecte, pas d'alternative incitative, pas de coordination).
Note : Pour l'avenir, on peut espérer que les acteurs de la vape développent plus de produits éco-conçus (batteries standard amovibles, recharges consignée…). Il y a là un vrai défi pour rendre le vapotage non seulement bon pour la santé publique mais aussi soutenable pour l'environnement. Cet aspect environnemental est important, mais il ne faudrait pas qu'il masque la priorité sanitaire. Idéalement, on doit parvenir à concilier les deux enjeux en favorisant les dispositifs durables plutôt que punir globalement la vape.
V. L'Industrie Face aux Défis : Acteurs et Stratégies
5.1 Les Acteurs Majeurs du Marché de la Vape
Le marché mondial de la vape est atypique car il mêle des acteurs de tailles et de natures très différentes, avec parfois des intérêts opposés :
• Les Cigarettiers Internationaux (« Big Tobacco ») : Ils ont tous investi le secteur. Principaux noms : British American Tobacco (BAT) avec sa gamme Vuse, Imperial Brands avec Blu, Philip Morris International (PMI) avec IQOS (tabac chauffé) et une position dans JUUL, Japan Tobacco (JTI) avec Logic, Altria (actionnaire JUUL). Ces géants ont des moyens financiers colossaux et un savoir-faire réglementaire (lobbying). Ils poussent surtout des systèmes fermés (pods propriétaires, souvent chers) et ont un réseau de distribution orienté buralistes.
• Les Pure-Players de la Vape (« Big Vape ») : Ce sont principalement des fabricants chinois indépendants qui dominent la production de matériel et parfois de e-liquides. Exemples : SMOK (Shenzhen IVPS), GeekVape, Innokin, Vaporesso (Smoore), Voopoo, Uwell… Ils inondent le marché d'appareils innovants. Beaucoup sont inconnus du grand public car ils n'ont pas de marque forte en retail, mais SMOK par exemple vend des millions de kits par an et fait un CA comparable à une PME du CAC40.
• Les Distributeurs/Retailers Indépendants : Des entreprises comme Le Petit Vapoteur, par exemple, ou aux USA des chaînes comme Vape City, etc., qui ont construit un lien direct avec le consommateur. Eux défendent la diversité des produits, l'accompagnement client, etc., par opposition aux cigarettes vendues en supérette.
• Les Fabricants de e-liquides : Aux USA, on avait de nombreux artisans (largement éliminés par la FDA PMTA faute de moyens pour homologuer). En Europe, on a quelques gros (Halo, Liquideo, Vampire Vape, etc.) et plein de petits labos locaux. Eux s'inquiètent surtout des interdictions d'arômes et de la taxation au ml, qui les touchent de plein fouet.
• Les Plateformes de vente en ligne : Un acteur comme RELX (Chine) vend en direct via internet dans le monde entier, ou des sites e-commerce asiatiques type Heavengifts expédient en Europe. Si les ventes en ligne sont restreintes (comme c'est prévu en 2026 possiblement), ces acteurs devront changer de modèle.
En 2021, JUUL était l'acteur n°1 avec 49,7% de parts de marché globales (grâce au marché US essentiellement). En 2025, JUUL a énormément décroché (descendu vers 15-20% du marché US et marginal ailleurs). Vuse (BAT) a pris le lead aux USA (~40% part de marché US fin 2024). Au niveau mondial, il est difficile de classer, mais on peut dire que BAT/Vuse est leader en valeur sur la vape, suivi de PMI (IQOS étant techniquement du tabac chauffé, mais on peut inclure). En volume de matériel vendu, c'est probablement SMOK ou RELX les leaders, mais comme ce sont des appareils vendus une fois et réutilisés, ce n'est pas la même métrique.
5.2 La Guerre des Systèmes : Ouverts vs Fermés
Un clivage central dans l'industrie est celui des systèmes ouverts vs systèmes fermés :
• Les systèmes ouverts (mods, pods ouverts, clearomiseurs) permettent à l'utilisateur de remplir avec n'importe quel e-liquide. Ils sont durables, souvent modulables, et économiques à l'usage (les flacons de 10 ml reviennent à ~0,50 € par ml en moyenne). Ce segment est dominé par les fabricants indépendants (Chine) et les e-liquidiers locaux. Il représente la majeure partie du marché des passionnés et des ex-fumeurs de longue date.
• Les systèmes fermés (pods à cartouches scellées, jets) impliquent des cartouches pré-remplies propriétaires, souvent non rechargeables. Ils sont simples d'utilisation (plug-and-play), mais coûteux à l'usage (pods vendus 5 € les 2 ml, soit 2,50 €/ml, cinq fois plus cher qu'un liquide en fiole). Ce segment est largement occupé par Big Tobacco et quelques acteurs style RELX. Il vise souvent les débutants ou fumeurs occasionnels.
Les politiques publiques actuelles, si on n'y prend garde, risquent de favoriser les systèmes fermés. Exemple : les taxes au ml pénalisent plus les flacons de 10 ml que les pods de 2 ml (en proportion du coût). De même, interdire les arômes va conduire les vapoteurs acharnés soit à arrêter (peu probable), soit à se tourner vers du bricolage (acheter arômes alimentaires et faire son mélange) – ce qui peut profiter indirectement à l'industrie du tabac qui pourra dire "voyez, la vape est anarchique, repassez au tabac qui est stable…".
On assiste ainsi à une sorte de convergence d'intérêts paradoxale entre certains régulateurs et Big Tobacco : l'étau réglementaire écrase les petits acteurs (boutiques, liquidiers artisanaux) et laisse en place les grands qui ont les moyens (BAT peut payer les taxes, PMTA, etc.). En France, la structure 85% indé / 15% cigarettiers pourrait se renverser si les taxes et interdictions pleuvent – PMI et BAT ont les reins pour tenir, la petite boutique du coin non.
5.3 Canaux de Distribution en Mutation
La distribution de la vape évolue rapidement :
• Vente physique spécialisée (vape shops) : c'était le canal principal dans les années 2010. Ces boutiques offrent conseil et suivi, crucial pour le succès du sevrage. En France, ~3 300 en 2025, en baisse comme on l'a vu. Au UK ~2 000 shops. Aux USA, il y en avait 10 000+, aujourd'hui beaucoup ont fermé à cause de la PMTA.
• Bureaux de tabac / convenience stores : En Europe continentale, les buralistes ont commencé à vendre de la vape vers 2018, d'abord du cigalike puis du pod. En France, >20 000 points de vente (bar-tabac) proposent au moins une offre vape basique. Au UK, les convenience stores vendent surtout des puffs (énorme problème de ventes aux mineurs d'ailleurs). Aux USA, c'est les stations-service qui vendent du Logic, Blu.
• Pharmacies : Hormis l'Australie (échec total), peu de pays passent par les pharmas. L'Italie l'avait fait de 2014 à 2018 pour la vente de liquides nicotinés (absurde, et abandonné). La Nouvelle-Zélande autorise la vente en pharmacie mais ce n'est pas imposé. En France, quelques pharmaciens vendent officieusement mais c'est très minoritaire.
• Vente en ligne : En forte progression jusqu'en 2020. Avec le COVID, beaucoup de vapoteurs sont passés aux commandes web. On estime qu'en 2023, la vente en ligne représente 30-40% du marché vape en France, plus dans les pays ruraux étendus. Aux USA, la livraison de vape au particulier est devenue très difficile (loi fin 2020 qui a interdit l'envoi par USPS + grosses contraintes -> la vente en ligne a chuté sauf via le marché noir). En Europe, la Commission voudrait limiter la vente en ligne transfrontalière, voire l'interdire pour les e-cigs (comme c'est déjà le cas pour le tabac sur internet). Cela risque d'arriver d'ici 2027.
Tendance : On voit se profiler une potentielle "uberisation" clandestine : si les boutiques ferment et la vente en ligne légale est restreinte, les consommateurs se tourneront vers des circuits alternatifs (groupes Facebook, Telegram, etc.). L'industrie devra s'adapter soit en investissant ces canaux (pas évident légalement), soit en misant sur le retail existant (buralistes) en nouant des partenariats.
5.4 Innovation et Adaptation du Secteur
Malgré l'incertitude, l'industrie de la vape a toujours fait preuve d'une capacité d'innovation remarquable, tant technologique que commerciale :
Innovations technologiques récentes
- Batteries à autonomie augmentée et recharge rapide (USB-C, charge 2A) ;
- Mods à contrôle de température sophistiqué (TC) pour éviter la surchauffe ;
- Pods connectés Bluetooth avec suivi de consommation (ex : Juul2 UK propose une app) ;
- Évolutions dans les résistances : mesh coils pour meilleure saveur, céramique poreuse ;
- E-liquides aux sels de nicotine qui offrent un hit plus doux à fort dosage (très utile pour les pods à faible puissance) ;
- Développement de puff à e-liquide jetables recyclables (concepts à base de matériaux biodégradables ou recharge de liquide sur batterie jetable – un peu bancal mais à l'étude).
Contournements réglementaires
L'exemple australien a montré l'ingéniosité (ou l'opportunisme) de certains industriels asiatiques : dès l'interdiction des imports nicotinés, ils ont vendu séparément des kits de nicotine (des petites capsules de nic à ajouter dans un liquide vendu "nicotine-free" – contournant la loi car nicotine vendue comme pesticide par ex.). En Europe, on voit pointer des puffs "rechargeables en e-liquide" vendues comme "pas jetables" pour contourner la loi française. L'industrie s'adapte souvent plus vite que la régulation ne peut réagir.
Stratégies de survie
• Diversification géographique : les entreprises de vape cherchent des relais de croissance hors Europe (Asie du Sud-Est, Moyen-Orient où c'est souvent plus ouvert).
• Lobbying discret : L'industrie indépendante s'est professionnalisée en associations (FIVAPE en France, UKVIA au UK, IEVA au niveau UE) pour défendre ses intérêts. Ce n'est pas simple car elles font face au lobbying puissant de Big Tobacco (qui parfois n'a pas les mêmes positions) et aux ONG anti-tabac (souvent anti-vape par principe de précaution).
• Consolidation : Face aux coûts réglementaires qui montent, on assiste à des fusions/acquisitions. Par exemple, en 2022, un fabricant français d'e-liquides a racheté une chaîne de vape shops pour sécuriser ses débouchés. Aux USA, NJOY a été rachetée par Altria en 2023 après la chute de Juul.
Cap vers la réduction des risques globale : Certains acteurs essayent de se repositionner non plus comme "industrie de la vape" mais plus largement comme "industrie de la nicotine propre". Par exemple, BAT se présente maintenant comme une "compagnie de biens de consommation multi-catégories" avec un portefeuille sans combustion (vape, pouches, tabac chauffé). L'idée est de normaliser ces produits comme partie de la solution. D'autres, comme PMI, annoncent viser un futur sans cigarettes combustibles d'ici 10-15 ans (tout en vendant toujours des Marlboro…). Cette communication vise à gagner la confiance des régulateurs ou du moins à brouiller la frontière entre Big Tobacco et Big Vape.
VI. Perspectives et Scénarios Futurs
6.1 Les Risques Systémiques Identifiés
Notre analyse met en lumière cinq risques systémiques majeurs qui pourraient remodeler l'avenir du vapotage d'ici 2030 :
Risque #1 – Réglementaire : « Effet Domino » en Europe
La probabilité que la France (et les derniers pays sans taxe) cède à la pression harmonisatrice et taxe la vape d'ici 2026 est élevée (≥75%). Si l'UE impose un plancher fiscal, les États suivront. De même, si une douzaine de pays interdisent les arômes, on peut s'attendre à un effet domino (via la TPD3 ou des coopérations renforcées). Le danger ici est un cercle vicieux : chaque nouvelle restriction nationale sert de précédent pour les voisins, jusqu'à ce qu'un consensus se forme pour généraliser. Or, comme nous l'avons vu, ces restrictions ne viennent pas sur la base de nouvelles preuves scientifiques, mais par contamination politique (volonté d'afficher une protection de la jeunesse, souvent pour des gains d'image). C'est problématique, car on risque de verrouiller à l'échelle continentale des mesures dont l'efficacité réelle est douteuse voire négative (ex : la Finlande ou l'Estonie n'ont pas vu leurs jeunes fumer moins après interdiction des arômes, au contraire).
Risque #2 – Marché Noir : la « malédiction » australienne
Si l'Europe reproduit l'approche australienne (taxes élevées, arômes bannis, canaux limités), un marché parallèle va inévitablement se développer. On l'observe déjà à petite échelle. L'expérience australienne prouve qu'une telle évolution peut être rapide et irréversible une fois les réseaux criminels installés. Pour revenir en arrière, l'Australie aura besoin de années et de casser la législation, ce qui est politiquement difficile. Pour l'Europe, fragmentée en 27 pays, le défi serait plus grand encore : un marché noir transfrontalier serait très difficile à éliminer, comme on le voit déjà avec la contrebande de tabac entre pays à fiscalité différenciée. Ce risque, c'est en quelque sorte la création d'un « nouveau trafic de stupéfiants » autour de la nicotine, ce qui serait un comble alors que le vapotage avait justement pour vocation de réduire un fléau de santé publique.
Risque #3 – Industriel : Consolidation forcée & Big Tobacco winner
Les mesures fiscales et réglementaires en discussion favorisent structurellement les grands groupes au détriment des indépendants. Une taxation lourde, par exemple, sera plus facilement absorbée par BAT ou PMI (qui peuvent vendre à perte un temps pour conquérir le marché ou reporter sur les cigarettes) que par le petit fabricant local d'e-liquide qui va voir ses clients partir. De même, un emballage neutre standardisé profite aux marques déjà connues (Marlboro, Vuse) car le petit nouveau ne pourra plus se différencier ou se faire remarquer. Si on continue sur la trajectoire actuelle, on peut prédire : d'ici quelques années, la part de marché des cigarettiers dans la vape va passer de ~15% en France à peut-être 50-60%. Ce serait une ironie cruelle que l'industrie du tabac, responsable du désastre sanitaire du siècle, ressorte gagnante sur l'industrie de la vape qui était née en dehors d'elle. Mais c'est un scénario possible, car Big Tobacco a les moyens financiers, l'expertise réglementaire, et l'oreille de certains décideurs.
Risque #4 – Sanitaire : Retour du Tabagisme
Le pire scénario sanitaire serait que les mesures anti-vape aboutissent à une hausse du tabagisme, le mal que l'on cherchait à combattre. Or quelques indicateurs vont dans ce sens : en France +4,2% de ventes tabac en 2025, en Australie stagnation du déclin du tabac depuis 2019, etc. Plusieurs mécanismes pourraient expliquer un rebond du tabac :
- Des vapoteurs frustrés (liquide trop cher ou sans arôme) qui retournent à la cigarette par dépit.
- Des fumeurs potentiels qui n'essayent même pas la vape car trop compliquée/dénigrée, et restent fumeurs.
- Une perte de crédibilité des autorités de santé : à force de diaboliser la vape en dépit des preuves, certains fumeurs se disent "autant fumer, tout est dangereux pareil" (déjà 53% des fumeurs britanniques croient que vapoter est aussi ou plus risqué que fumer, ce qui est alarmant). Cette fatalité peut empêcher des gens de tenter l'arrêt tout court.
Si la prévalence tabagique remontait ne serait-ce que de 2 points en Europe à cause d'erreurs de politique, cela représenterait ~10 millions de fumeurs en plus et potentiellement 5 millions de morts prématurées supplémentaires à terme. On ne joue pas avec ces ordres de grandeur.
Risque #5 – Économique : Fuite des Investissements et de l'Innovation
L'incertitude et l'hostilité réglementaire risquent de tuer l'innovation en Europe. Les entreprises de vape européennes (il y en a quelques-unes – fabricants de mods en Roumanie, de liquides en France, UK, etc.) pourraient délocaliser ou stopper leurs R&D faute de perspective. Des capitaux qui auraient pu soutenir la réduction des risques partiront ailleurs (vers le cannabis légal, vers la pharma, vers la cigarette même). On voit aussi un risque de fuite des talents : les experts, chimistes, ingénieurs qui ont développé ce secteur seront démotivés ou remerciés. L'Europe pourrait devenir importatrice passive de solutions de sevrage venant des USA ou de Chine, alors qu'elle avait une industrie locale forte. Par ailleurs, sur un plan purement business, la destruction de milliers d'emplois de vape indépendants signifie un transfert vers soit les cigarettiers (qui embaucheront dans leurs divisions vape, probablement hors d'Europe car tout est fabriqué en Chine) soit le chômage. C'est un risque socio-économique que les gouvernements sous-estiment (la vape indépendante, c'était ~20 000 emplois en France fin 2022 – c'est loin d'être négligeable).
6.2 Scénarios Probables 2025-2030
En fonction des décisions prises dans les 2-3 prochaines années, on peut esquisser différents scénarios pour le paysage du vapotage en 2030 :
Scénario 1 : « Le Grand Resserrement » (probabilité ~45%)
Dans ce scénario, l'Europe applique largement les mesures restrictives en discussion. D'ici 2028 : taxation harmonisée dans tous les pays (minimum 0,12-0,36 €/ml, certains pays allant plus haut), interdiction des arômes dans >20 pays sur 27 (reste autorisé que tabac/menthol partout), paquet neutre imposé sur tous produits de vape, vente en ligne transfrontalière interdite, obligations techniques renforcées (par ex, limite nicotine abaissée). Les USA de leur côté n'interdisent pas la vape mais la FDA continue de refuser 99% des PMTA, laissant sur le marché seulement quelques marques (toutes détenues par Big Tobacco probablement). Le Royaume-Uni reste un havre plus ouvert mais se retrouve isolé dans ce choix.
Conséquences : On aurait une contraction du marché légal en Europe de l'ordre de 50% en volume. L'usage de la vape déclinerait (peut-être de 20% en 2025 à 10% en 2030 de la population fumeuse). Le tabagisme ne baisserait plus voire remonterait légèrement (ex : France repasse de 25% à 28%). Un marché noir européen se développe, qui représente 30-40% de la consommation (surtout pour les arômes interdits). On verrait aussi une consolidation extrême : les cigarettiers raflent 60-80% du marché légal (puisque les indépendants n'ont pas survécu aux chocs). La vape, autrefois prometteuse, est perçue par le grand public comme un gadget dangereux finalement abandonné par beaucoup – sauf les fumeurs les plus convaincus de sa réduction de risque. Ce scénario serait un véritable échec de santé publique, avec potentiellement des morts évitables en plus (car des fumeurs n'auront pas arrêté). Malheureusement, c'est une trajectoire plausible si rien ne change au niveau politique ou si l'OMS impose sa ligne dure.
Scénario 2 : « Régulation différenciée et résilience » (probabilité ~35%)
Ici, toutes les régions du monde ne suivent pas la même voie. L'Europe continentale adopte en partie des restrictions (taxes modérées, restrictions pubs, etc.) mais quelques pays résistent sur les arômes (ex : la Suède, la Pologne conservent les arômes). Le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande restent pro-vape et deviennent des pôles d'innovation. Les États-Unis voient le marché rester bloqué dans une situation oligopolistique (quelques big players autorisés, le reste underground).
Conséquence : une fragmentation du marché mondial. Les vapoteurs avertis se fournissent via les pays "safe" (par ex, un français achète ses liquides en Pologne ou en Suisse). Le marché noir existe mais plus limité qu'au scénario 1 car il y a quand même des échappatoires légales. Big Tobacco renforce sa position partout où la régulation est dure (parce qu'eux seuls peuvent suivre), mais dans les marchés restés ouverts, les indés survivent et innovent (on pourrait imaginer par ex que la nicotine synthétique ou d'autres molécules comme le snus ou la nicotine pharmaceutique progressent dans ces zones). Ce scénario voit toujours un recul du tabagisme, mais plus lent en Europe occidentale qu'il n'aurait pu être. Le vapotage subsiste comme "niche" ou "sous-culture" plus que comme phénomène de masse. La santé publique n'est ni catastrophique ni excellente, juste mitigée.
Scénario 3 : « Le Réveil Scientifique » (probabilité ~20%)
Dans ce scénario optimiste, des avancées ou prises de conscience inversent la tendance. Par exemple, en 2026 une vaste étude européenne sur 10 ans démontre sans ambiguïté que le vapotage a sauvé "X" vies et n'a pas de mortalité associée. Ou l'OMS elle-même, après un changement de direction, reconnaît la vape comme outil de réduction des risques. Sous l'effet de ces éléments, l'UE revoit sa copie dans la TPD3 : au lieu d'interdire, elle encadre intelligemment (par ex, en autorisant les arômes mais en interdisant tout marketing flashy, en maintenant l'interdiction mineurs, etc.). La taxe européenne est fixée à un niveau symbolique faible ou avec des exceptions (ex : pas de taxe sur le PG/VG, seulement sur nicotine pour ne pas trop alourdir). On assisterait alors à une stabilisation réglementaire qui redonne confiance aux acteurs.
Conséquences : le marché de la vape repartirait à la hausse modérée (5-10% an). Le tabagisme en Europe pourrait baisser plus fortement, atteignant le fameux <5% dans plusieurs pays d'ici 2040. Big Tobacco continuerait de vouloir une part du gâteau, mais les indépendants auraient le temps et l'espace pour s'adapter, se conformer aux normes, etc. Dans ce scénario, la vape s'intègre dans les politiques de santé publique, les campagnes officielles la mentionnent comme alternative, ce qui amplifie son impact positif. C'est finalement la vision qu'espéraient les pionniers du secteur : faire reculer la cigarette comme jamais auparavant grâce à un outil populaire.
Scénario 4 : « L'Innovation Disruptive » (joker)
Il est possible qu'une innovation technique change la donne d'ici 2030. Par exemple, l'arrivée d'inhalateurs de nicotine pharmaceutiques très efficaces, ou de cigarettes sans combustion (genre un papier qui chauffe le tabac sans brûler, délivrant nicotine sans fumée) qui convainc tout le monde. Ou encore l'avènement de l'IA dans l'arrêt du tabac (une app coache le fumeur en temps réel et couplée à un dispositif type vape adaptative). Si une telle innovation survient, elle pourrait soit supplanter la vape, soit la compléter. Difficile à prévoir, mais on sait que l'industrie du tabac investit beaucoup en R&D sur les produits alternatifs (nicotine synthétique, nouvelles molécules).
Ce scénario joker pourrait aboutir soit à une issue positive (arrivée d'un produit « miracle » qui fait accepter la réduction des risques, comme les nicotine pouches en Suède qui ont quasiment fait disparaître la cigarette là-bas), soit négative (un nouvel "épouvantail" qui fait oublier la vape mais pose d'autres problèmes, ou qui retarde encore le recul du tabac).
6.3 Les Facteurs Déterminants
Plusieurs facteurs-clés influenceront lequel de ces scénarios se réalise :
6.3.1 – L'influence de l'OMS et des ONG
L'OMS demeure très influente dans les choix des pays, surtout en Afrique, Asie et Amérique latine. Si la COP11 de 2025 s'achève sur des recommandations très dures (et qu'elles sont suivies), on se dirige vers le Scénario 1 globalement. À l'inverse, si l'OMS ne parvient pas à forger de consensus contraignant et que la voix de la réduction des risques se fait entendre (UK, NZ, etc.), les pays pourraient diverger davantage, ouvrant la voie au Scénario 2 ou 3 dans certaines régions.
Il y a aussi les ONG anti-tabac influentes (Bloomberg Philanthropies, etc.) qui financent beaucoup de recherches anti-vape. Si celles-ci venaient à changer de position (peu probable tant que M. Bloomberg en personne est opposé), ça pourrait tout changer. On peut espérer une évolution générationnelle : la vieille garde des "tabacologues" dogmatiques part à la retraite d'ici 2030, la nouvelle génération de chercheurs, plus pragmatiques, prendra peut-être le relais avec une approche plus nuancée.
6.3.2 – Les Procès et responsabilités juridiques
Une inquiétude pour l'industrie est la menace de litiges type "Big Tobacco". Aux USA, on a vu des poursuites contre Juul pour marketing aux mineurs. Si des scandales de santé surviennent (ex : un vapoteur de longue date développe une maladie rare et attaque un fabricant), cela pourrait créer une jurisprudence néfaste. Inversement, si d'ici 2030 aucune épidémie ni maladie spécifique n'est attribuée au vapotage, les pouvoirs publics seront peut-être plus sereins et allègeront les contraintes.
Aux États-Unis, la FDA fait face à de multiples recours juridiques de la part de l'industrie de la vape sur ses refus PMTA. Si l'une de ces actions aboutit à remettre en cause la PMTA telle quelle, cela libéraliserait le marché US et aurait un retentissement mondial (beaucoup de pays s'inspirent des USA).
6.3.3 – Innovations technologiques
Comme évoqué, la technologie peut apporter des solutions aux problèmes actuels :
- Des cigarettes électroniques « intelligentes » capables d'auto-limiter la délivrance de nicotine aux mineurs (via app, reconnaissance biométrique ?).
- Des e-liquides sans nicotine mais avec d'autres alcaloïdes ou substances qui miment l'effet (il y a de la recherche sur les extraits de feuilles de tabac sans nicotine, ou des nootropiques). Si on trouvait la "vape sans nicotine" aussi satisfaisante, elle échapperait aux régulations actuelles (qui ciblent la nicotine).
- Sur le plan de la toxicité, peut-être des e-liquides à base d'un excipient nouveau plus sain que PG/VG (peu probable qu'on trouve beaucoup mieux, mais qui sait).
- Des dispositifs de chauffe du tabac plus efficaces et moins nocifs (IQOS est déjà une réduction de risque notable par rapport à la cigarette, ~70-80% moins nocif selon PMI). Si ceux-ci se perfectionnent, ils peuvent aussi contribuer à la réduction du tabagisme (même si les puristes de la vape n'aiment pas le tabac chauffé, c'est objectivement moins pire que fumer).
L'élément techno peut changer la donne en bien comme en mal : par exemple, les sels de nicotine ont été une innovation qui a permis aux pods style Juul d'être très efficaces pour délivrer beaucoup de nicotine rapidement (d'où succès chez fumeurs et dérives chez jeunes). Demain, une innovation analogue pourrait soit résoudre un problème (ex : une nicotine à libération retardée pour moins de dépendance), soit créer une nouvelle polémique.
6.3.4 – Mobilisation des usagers et de l'opinion publique
Un facteur souvent négligé : la réaction des usagers eux-mêmes. En Australie, la fronde s'organise (88% contre la politique actuelle). En Europe, on a vu naître des mouvements (#Jesuisvapoteur en France, World Vapers' Alliance au niveau UE). Jusqu'ici, ils n'ont pas eu un poids énorme, mais s'ils montent en puissance et obtiennent un relais médiatique, ils peuvent influencer les politiques (après tout, les vapoteurs sont des électeurs, souvent d'âge 30-50, donc plus mobilisés que les 16-25). En 2024, la Commission a reçu 24 000 réponses à sa consultation sur la taxation du tabac, dont beaucoup de vapoteurs exprimant leur opposition à la taxe sur la vape.
Si l'opinion publique générale évolue – par exemple si demain les médias relatent largement l'histoire de l'Australie comme un fiasco, les gens pourraient se dire "on ne veut pas faire pareil". De même, si les bienfaits de la vape pour des ex-fumeurs sont mieux mis en avant (témoignages, etc.), le grand public pourrait devenir plus favorable. En politique, un retournement de l'opinion amène souvent un changement de ligne des élus, surtout sur des sujets sociétaux.
Enfin, le tabagisme lui-même restera un facteur : si la conso de tabac remonte, les gouvernements seront contraints de réagir (ils ne peuvent pas se permettre une recrudescence de cancers évitable). Quelle option choisiront-ils alors ? Soit renforcer encore la répression (approche butant sur les mêmes écueils), soit revoir leur copie et accepter la vape comme alliée. Dans le long terme, la logique plaide pour la seconde option, mais les atermoiements peuvent coûter cher en vies.
VII. Recommandations Stratégiques
Étant donné l'analyse ci-dessus, que peut-on recommander aux différents acteurs pour éviter le pire et tendre vers le meilleur ?
7.1 Pour les Décideurs Publics
7.1.1 – Adopter une Approche Fondée sur les Preuves
Il est urgent que les autorités européennes et nationales reconnaissent le consensus scientifique établi : le vapotage est significativement moins nocif que le tabagisme et constitue un outil efficace de sevrage. Cette reconnaissance devrait transparaître dans les politiques : distinguer clairement la vape du tabac. En pratique, cela signifie :
- Ne pas taxer la vape autant (ou plus) que le tabac combustible. Si une taxe est mise, qu'elle reste modérée et inférieure à la fiscalité du tabac, afin de préserver l'avantage économique de la vape pour un fumeur (sinon, beaucoup ne feront pas la transition).
- Ne pas appliquer à la vape des mesures pensées pour le tabac sans réflexion (par ex, le paquet neutre ou l'interdiction de visibilité, qui ont un sens pour dénormaliser un produit mortel, mais qui ici risquent de décourager un produit de sevrage). Un principe de proportionnalité devrait guider l'action.
7.1.2 – Éviter « l'australianisation » de la vape
Le cas australien doit servir d'avertissement clair. Une prohibition ou un excès de restrictions ne protège pas la jeunesse, cela la pousse vers un marché clandestin incontrôlé. Les décideurs européens devraient étudier en détail ce qu'il s'est passé là-bas et en tirer la leçon inverse : il faut encadrer sans éradiquer. Concrètement :
- Maintenir l'accès aux produits de vapotage pour les fumeurs adultes (donc ne pas rendre l'obtention trop complexe, trop chère, ou trop limitée en choix).
- Renforcer les contrôles de vente aux mineurs sur le terrain, plutôt que d'interdire des catégories entières utilisées surtout par des adultes.
- Lutter contre le marketing abusif (ce qui est légitime), mais parallèlement communiquer positivement sur la vape auprès des fumeurs. Par ex, au Royaume-Uni, les ministères n'hésitent pas à dire dans des brochures : « Si vous n'arrivez pas à arrêter de fumer, essayez le vapotage – c'est bien moins risqué ». Une telle communication, si elle venait en France de Santé Publique France, changerait beaucoup de choses.
7.1.3 – Transparence et Concertation
Il y a un sentiment chez les vapoteurs et les professionnels d'être méprisés ou exclus du débat. Les décisions sont prises « en chambre » par des non-utilisateurs, souvent mal informés. Cette façon de faire produit de mauvaises lois. Nous recommandons que les gouvernements et l'UE engagent de véritables concertations avec toutes les parties prenantes : professionnels de santé, chercheurs, associations de vapoteurs, industriels indépendants, et oui, même l'industrie du tabac (ne serait-ce que pour entendre leurs arguments et pouvoir les contrer en connaissance de cause, plutôt que de se fier aux fantasmes).
Concrètement, la Commission européenne devrait publier les études d'impact qui justifient ses propositions (par ex, sur l'interdiction des arômes : quel effet sur le tabagisme attendu ? sur le marché noir ?). Si de telles études n'existent pas, c'est préoccupant. La transparence académique doit primer : fonder les politiques sur des données et non sur des slogans ou pressions de lobbies.
7.1.4 – Mesures spécifiques intelligentes
Plutôt que des interdictions générales, opter pour des mesures ciblées sur les vrais problèmes :
- Interdire les arômes explicitement destinés aux enfants (ex : licorne, bonbon Barbie, etc.) sans interdire tous les arômes. On peut définir une liste négative (pas de noms de friandises, pas de personnages). Certains pays l'ont fait.
- Imposer des packagings sobres (pas forcément neutres uniformes, mais pas de dessins cartoons, etc.). La France a commencé à y réfléchir.
- Renforcer la traçabilité des produits pour lutter contre les contrefaçons : exiger des codes uniques sur chaque flacon, etc., consultables par les douanes.
- Soutenir financièrement la formation des buralistes et pharmaciens sur la vape, pour qu'ils vendent correctement (le buraliste incite rarement le fumeur à passer à la vape ; formé différemment, il pourrait le faire).
- Lancer des campagnes de sensibilisation grand public rappelant la réalité : « La cigarette tue 1 fumeur sur 2, la vape c'est 95% moins nocif, si vous n'arrivez pas à arrêter autrement, c'est une option valable ». Ce message nuancé sauverait des vies.
7.2 Pour l'Industrie de la Vape
7.2.1 – Responsabilité et Transparence accrues
L'industrie indépendante doit balayer devant sa porte pour gagner en crédibilité :
- Tolérance zéro sur le marketing visant les mineurs. Ne pas sponsoriser d'influenceurs TikTok douteux, ne pas utiliser de mascottes enfantines, etc. Cela s'est beaucoup vu avec les puffs et ça a terni toute la filière.
- Transparence sur les ingrédients et processus de fabrication. Publier les résultats d'analyses toxicologiques sur les liquides, se soumettre à des normes volontaires (comme AFNOR en France). Montrer patte blanche pour couper l'herbe sous le pied de ceux qui prétendent que "on ne sait pas ce qu'il y a dedans".
- Investir dans la recherche indépendante : la FIVAPE et d'autres pourraient co-financer des études de suivi de vapoteurs, ou toxicologie animale, etc., en mandatant des laboratoires. Plus il y aura de données scientifiques solides, mieux ce sera pour défendre les produits. Laisser uniquement les autorités (ou les anti) faire les études, c'est risqué.
7.2.2 – Innovation Responsable
Les fabricants devraient orienter l'innovation non plus seulement sur "plus de vapeur, plus de saveurs", mais aussi sur la sécurité et la simplicité pour les fumeurs :
- Développer des systèmes à dose de nicotine contrôlée (on envisage par ex des e-cig connectées qui limitent la dose délivrée sur 24h – utile pour aider à décroître la dépendance progressivement).
- Intégrer des dispositifs de vérification d'âge à l'usage (c'est difficile, mais il y a des pistes comme des embouts avec reconnaissance d'empreinte digitale – déjà un produit existe aux USA).
- Continuer d'améliorer la qualité (éviter fuites, éviter dry hits par design, etc.), car chaque problème technique d'un kit peut décourager un fumeur.
- Sur l'écologie : lancer par exemple un programme de recyclage volontaire (ramenez 10 puffs usagées, recevez 1 liquide gratuit, etc.). Ou concevoir des puffs rechargeables modulables. Bref, ne pas donner prise à l'argument environnemental, car c'est un vrai souci.
7.2.3 – Unité du secteur et Plaidoyer
L'industrie de la vape doit présenter un front uni et audible. Trop souvent, ce sont de petits acteurs dispersés. Des fédérations existent (FIVAPE, IEVA), elles doivent intensifier leur lobbying auprès des décideurs, en s'appuyant sur le fait qu'elles représentent des PME locales et des emplois, pas des multinationales du tabac. C'est un argument sensiblement différent (la Commission est parfois agacée d'être perçue comme pro-Big Tobacco quand elle parle de vape, les indés doivent leur faire comprendre qu'il y a une autre réalité).
Créer un fonds commun de soutien juridique et scientifique pourrait aider : par exemple, pour contester certaines mesures disproportionnées en justice (Cour de Justice de l'UE, Conseil d'Etat…), ou pour financer des campagnes de communication grand public positives (il y a bien "Mois Sans Tabac", pourquoi pas un "Mois de la Vape" sponsorisé par le secteur, avec distribution de kits d'essai ?).
En somme, passer d'une posture souvent défensive ("laissez-nous tranquilles") à une posture pro-active : montrer comment la vape peut être partie intégrante de la solution au problème tabac, et travailler de concert avec les autorités sur les objectifs communs (réduire le tabagisme, protéger les mineurs).
7.3 Pour les Professionnels de Santé
7.3.1 – Formation & Information
Il est indispensable que les médecins, pharmaciens, infirmiers soient mieux informés et formés sur le vapotage. On constate encore en 2025 que beaucoup de médecins généralistes disent à leurs patients « on ne sait pas ce qu'il y a dedans, mieux vaut pas vapoter » – c'est factuellement faux et contre-productif. Les instances de santé (Haute Autorité de Santé, sociétés savantes de tabacologie) devraient intégrer la vape dans les programmes de formation continue.
Le rapport PHE 2022 notait que « moins de 10% des adultes comprennent que la plupart des méfaits de la cigarette ne sont pas causés par la nicotine ». Cela inclut hélas certains soignants. Corriger cette méconnaissance est prioritaire : nicotine ≠ cancer. Ainsi, un médecin ne devrait plus culpabiliser un patient qui arrête le tabac via la vape sous prétexte qu'il est "toujours dépendant à la nicotine". Cette dépendance résiduelle est sans comparaison avec les risques précédents – le but c'est d'éviter la fumée.
7.3.2 – Recommandations pragmatiques aux patients
Les professionnels de santé doivent adopter un discours pragmatique et personnalisé. Plutôt que l'idéologie du "tout ou rien" (arrêter la nicotine sinon rien), comprendre qu'un fumeur invétéré sera plus réceptif à un pas intermédiaire. Recommander la vape aux patients fumeurs qui n'ont pas réussi avec patchs ou qui ne veulent pas arrêter la gestuelle. Au RU, c'est intégré dans les Stop Smoking Services : on propose un kit de vape + coaching, et les résultats de sevrage sont meilleurs.
En France, la SFT (Société de Tabacologie) commence à le dire mais timidement. Il faut amplifier : un tabacologue devrait pouvoir dire sans réserve « Oui, vapoter c'est bien moins grave que fumer. Passons-y et on verra plus tard pour réduire la nicotine. » Dautzenberg dit que 85% des fumeurs passant à la vape diminuent progressivement leur dosage nicotinique d'environ 1% par jour (par dilution empirique) et beaucoup arrêtent toute nicotine en 3 à 5 mois. Ce genre d'info est rassurant pour les médecins : la vape n'est pas une prison à vie, c'est souvent une béquille temporaire – et si elle devient permanente pour certains, ce n'est pas un drame car le risque reste faible.
7.3.3 – S'impliquer dans la Recherche Clinique
Les médecins et scientifiques pro-sevrage doivent participer activement à la recherche sur la vape, notamment sur ce qui reste inconnu (effets au-delà de 10 ans, effets sur populations spécifiques comme BPCO, maladies cardio). Si on multiplie les études de suivi, on aura plus de données pour convaincre les réticents.
Exemple : une étude randomisée en cours au UK (2022-2023) compare l'efficacité de la vape vs patch chez les femmes enceintes fumeuses. Les premiers résultats montrent plus d'arrêts avec la vape sans augmentation d'effets indésirables sur la grossesse. Si ça se confirme, cela pourrait amener les autorités à autoriser/encourager la vape chez la femme enceinte qui n'arrive pas à arrêter (aujourd'hui c'est tabou). C'est un champ de recherche où les soignants doivent prendre part.
7.4 Pour les Utilisateurs (Fumeurs/Vapoteurs)
7.4.1 – Information éclairée
Aux fumeurs curieux : documentez-vous auprès de sources fiables (VapingPost, Cochrane, Public Health England rapports) et pas seulement via les gros titres anxiogènes. Comprenez que non, la vape n'est pas sans risque, mais oui c'est infiniment moins risqué que de continuer à fumer. Il s'agit de choisir le moindre mal pour sortir d'un mal certain. Beaucoup de fumeurs ne connaissent pas bien les produits, ils ont peur de la "chimie" mais ignorent que la fumée de tabac est bien plus chimique et toxique.
7.4.2 – Utilisation appropriée
Si vous choisissez le vapotage pour arrêter de fumer, faites-le sérieusement : essayez d'arrêter complètement la cigarette le plus tôt possible. Le double usage prolongé réduit les bénéfices (même s'il vaut mieux fumer moins, bien sûr). Cherchez conseil auprès de professionnels ou de vapoteurs expérimentés pour trouver le bon matériel, le bon dosage de nicotine qui vous convient (c'est crucial – trop faible en nicotine et vous ne serez pas satisfait, trop fort et ça peut vous écœurer).
Ne soyez pas effrayé par l'idée de consommer de la nicotine sous une autre forme : rappelez-vous que cette nicotine vous la consommez déjà avec la cigarette, sauf qu'avec elle viennent goudron, CO, etc. Vapoter de la nicotine, c'est comme prendre de la caféine dans un café au lieu de mâcher du café moulu mélangé à du goudron (image…).
7.4.3 – Engagement citoyen
Les millions de vapoteurs européens ont une voix – ils peuvent s'en servir. Par exemple, répondre aux consultations publiques (comme beaucoup l'ont fait pour la taxe UE), écrire à leurs députés nationaux ou européens (beaucoup de parlementaires n'entendent que les discours anti-vape, leur présenter votre expérience positive peut les faire réfléchir). Participer aux associations locales ou forums pour se tenir au courant. Soutenir les actions en justice si besoin via les cagnottes de l'associatif.
Il ne s'agit pas de militantisme aveugle, mais de défendre votre choix de réduction des risques face à des politiques qui parfois menacent de vous l'enlever. Votre témoignage de réussite d'arrêt du tabac grâce à la vape peut convaincre un proche fumeur d'essayer, ou convaincre un décideur qu'il ne faut pas diaboliser cet outil.
En somme, restez un acteur de votre santé et de la santé publique, ne laissez pas les narratifs anxiogènes reprendre le dessus sans réagir.
VIII. Conclusion : Un Choix de Société Fondé sur les Preuves
Le marché de la vape en 2025 se trouve à un tournant historique.
D'un côté, une expansion économique soutenue (11-15 % par an selon les estimations conservatrices, jusqu'à 29 % selon les projections les plus optimistes) portée par un large consensus scientifique sur la réduction des risques relative et l'efficacité pour le sevrage tabagique. De l'autre, une vague réglementaire restrictive qui risque de compromettre ce potentiel de santé publique en répétant les erreurs démontrées par le cas australien.
Les chiffres disponibles témoignent d'une réalité tangible : 80 à 90 millions de vapoteurs dans le monde, un marché de 45 milliards de dollars en 2025, une croissance soutenue. Ces données économiques reflètent une réalité sanitaire : des millions de fumeurs ont trouvé dans le vapotage un outil qui leur a permis d'arrêter le tabac après de multiples échecs avec les méthodes traditionnelles.
Public Health England (devenu OHID en 2023), après près de dix ans d'évaluations annuelles compilant des centaines d'études, a maintenu jusqu'en 2022 que le vapotage est "au moins 95 % moins nocif que le tabagisme" - estimation d'experts certes contestée sur le plan méthodologique, mais reflétant un consensus sur la réduction significative des risques. La revue Cochrane, référence mondiale en médecine factuelle, confirme dans ses dernières mises à jour que le vapotage apparaît plus efficace que les thérapies de remplacement nicotinique traditionnelles. Le Royaume-Uni a vu son taux de tabagisme chuter de 27 % à 12,3 % en parallèle de l'adoption du vapotage.
Face à ces données, l'Europe s'engage dans une trajectoire dont l'Australie illustre les risques. Taxation généralisée privilégiant structurellement les produits de l'industrie du tabac, interdictions d'arômes malgré leur rôle identifié dans le sevrage, limitations de distribution, stigmatisation croissante : ces mesures, présentées comme protectrices, produisent en Australie des effets largement contraires aux objectifs affichés.
L'Australie démontre qu'on ne peut pas réglementer par la prohibition un comportement enraciné dans la dépendance. Avec 70 à 90 % du marché tombé dans l'illégalité selon les estimations, une explosion de la violence liée au trafic, des produits non contrôlés aux mains des jeunes, et un échec documenté de la distribution pharmaceutique (une fraction infime des pharmacies participent), le pays illustre ce que le Dr Colin Mendelsohn résume ainsi : « La seule façon de réduire considérablement un marché illicite est de le remplacer par un marché légal et réglementé. »
Le risque existe que l'Europe, dans son processus réglementaire, s'approche de ce point de bascule où le marché noir devient plus attractif que l'offre légale. La taxation envisagée pour 2026, les interdictions d'arômes discutées pour 2027, les restrictions sur la vente en ligne : chaque mesure doit être évaluée à l'aune de l'expérience australienne.
Pourtant, une autre approche s'avère possible. Le Royaume-Uni démontre qu'une réglementation équilibrée - protégeant effectivement les jeunes tout en facilitant l'accès pour les fumeurs adultes - produit des résultats sanitaires mesurables. La France, qui a résisté jusqu'à présent aux pressions pour une taxation excessive, conserve la possibilité de choisir cette voie pragmatique.
Les années 2025-2030 seront décisives. Les décisions réglementaires à venir détermineront si l'Europe reconnaît le vapotage comme un outil de santé publique fondé sur les preuves disponibles, appliquant une réglementation proportionnée, ou si elle opte pour une approche prohibitive dont l'Australie a démontré les limites.
Nous sommes face à un choix de civilisation. D'un côté, une régulation fondée sur les preuves scientifiques, qui protège les populations vulnérables tout en permettant à des millions de fumeurs d'accéder à un outil de sevrage efficace. De l'autre, une prohibition idéologique qui enrichit le crime organisé, expose les jeunes à des produits non contrôlés, et condamne des fumeurs à mort par principe de précaution mal appliqué.
Le tabac tue 8 millions de personnes par an dans le monde, dont 700 000 en Europe. Chaque année de retard dans l'adoption de politiques de réduction des risques représente des centaines de milliers de morts évitables. Augustin, dans sa boutique strasbourgeoise, a vu des vies sauvées. Le Dr Kelvin Kong, en Australie, voit son peuple mourir d'un « génocide lent par la cigarette » perpétué par des politiques bien-intentionnées mais contre-productives.
L'histoire jugera les décideurs européens de 2025 sur un critère simple : ont-ils choisi de sauver des vies ou de préserver une posture idéologique ? Ont-ils écouté les preuves scientifiques ou les paniques morales ? Ont-ils appris de l'échec australien ou l'ont-ils reproduit ?
La réponse à ces questions déterminera combien de fumeurs auront une chance de voir leurs enfants grandir, combien d'Augustin pourront continuer leur mission, et si l'Europe du XXIᵉ siècle aura été capable de distinguer un outil de santé publique d'une menace sanitaire.
Le temps des décisions est maintenant. Les conséquences seront mesurées en vies humaines.
Sources et Références
Études Scientifiques Majeures
- McNeill A, Brose LS, Calder R, Hitchman SC. (2015). "E-cigarettes: an evidence update". Public Health England (fonctions transférées à OHID en 2023)
- Office for Health Improvement and Disparities (2022). "Nicotine vaping in England: 2022 evidence update" - Dernière méta-revue officielle UK - GOV.UK
- Cochrane Review (29 janvier 2025). "Electronic cigarettes for smoking cessation (and reduction)" - Dernière mise à jour publiée (90 études, 29 044 participants) - Cochrane Library
- Royal College of Physicians (2016). "Nicotine without smoke: Tobacco harm reduction"
- Hartmann-Boyce J, et al. (2020). "Electronic cigarettes for smoking cessation". Cochrane Database Syst Rev
Travaux du Pr Bertrand Dautzenberg
- Dautzenberg B. et al. (2023). "Systematic Review and Critical Analysis of Longitudinal Studies Assessing Effect of E-Cigarettes on Cigarette Initiation among Adolescents Never-Smokers". International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 20
- Dautzenberg B. (2025). "The Role of Vaping in Smoking Cessation" - Article d'actualité, août 2025
- Dautzenberg B. (2013). Rapport sur la cigarette électronique pour le ministère français de la Santé (coordination)
- Communications diverses - Société Francophone de Tabacologie : "Interaction cigarette/e-cigarette dans l'expérimentation et l'initiation du tabagisme chez les adolescents"
- Profil ResearchGate : Former chest physician at the Salpêtrière Hospital (APHP), Institut Arthur Vernes
Sources Critiques et Perspectives Alternatives
- ANSES (2023-2024). Rapports d'expertise sur les risques liés au vapotage - Analyses sur formaldéhyde et impacts pulmonaires
- Lancet Respiratory Medicine (2023-2024). Études sur inflammation pulmonaire et signaux de risque à long terme
- Organisation Mondiale de la Santé (2025). "WHO Global Tobacco Epidemic 2025" - Position OMS et recommandations
- Santé Publique France - Données épidémiologiques sur l'usage du vapotage en France
Données de Prévalence et d'Usage
- ASH GB (Action on Smoking and Health) 2025. "Use of e-cigarettes (vapes) among adults in Great Britain" - Prévalence, profils d'usagers, motifs d'usage
- ONS (Office for National Statistics) 2024. "Adult smoking habits in the UK: 2023" - Séries officielles tabagisme et vapotage
- ESPAD 2023 (publié 2024-2025). "European School Survey Project on Alcohol and other Drugs" - Données comparables UE sur usage adolescent
- Eurobaromètre spécial 525 (2024). "Attitudes des Européens à l'égard du tabac et des cigarettes électroniques" - Prévalence adultes UE et perceptions
Données de Marché
- Euromonitor 2025. "Western Europe/Global Nicotine Alternatives" - Tailles de marché et CAGR réalistes
- Grand View Research (2024-2025). "E-cigarette Market Size and Share Analysis"
- Research Nester (2024). "E-Cigarette and Vape Market Analysis" - Projections optimistes
- Xerfi Precepta (2025). "Le marché de la cigarette électronique en France"
- Mordor Intelligence (2023). "E-cigarette Market Report 2023-2028"
- Statista (2024-2025). Données marché USA
Réglementation et Politique
Documents officiels UE
- EPRS (European Parliamentary Research Service) septembre 2025. "Tobacco Excise Directive revision: Issues and perspectives" - Analyse détaillée révision TED
- Commission européenne - COM(2025) 580. Proposition refonte accises (TED) - Taxation and Customs Union
- Commission européenne
Réglementations nationales
- Belgique : Moniteur Belge (Etaamb) - Arrêté Royal 3/05/2024 ; SPF Santé publique ; Générations Sans Tabac
- Pays-Bas : RIVM.nl - Liste officielle des 16 composés aromatiques autorisés ; NL Times ; ECigIntelligence
- Allemagne : Deutscher Bundestag - Drucksache 19/30490 (TabStMoG) ; Bundesministerium der Finanzen ; Vaping360
- France : Légifrance - Loi n° 2025-175 (JO 25 février 2025)
- Royaume-Uni : UK Parliament - Tobacco and Vapes Bill [HL Bill 89], progression législative mise à jour 6 octobre 2025 (bills.parliament.uk) ; GOV.UK
- République Tchèque : Notification Commission européenne via système TRIS (30 septembre 2025) ; VapingPost (6 octobre 2025)
Sources spécifiques section France
- DGDDI - Bulletins statistiques mensuels tabacs manufacturés, janvier-août 2025
- DGCCRF - Bilan semestriel application loi anti-puffs, août 2025 (document interne) ; Charente Libre
- URSSAF - Données secteur NAF 4778C, consolidation février-septembre 2025
- FIVAPE - Observatoire des fermetures, suivi mensuel 2025
- OFDT - Enquête flash lycéens, juin 2025 (n=2400, données préliminaires)
- Xerfi Precepta - Actualisation marché vape France, octobre 2025
- Témoignages recueillis septembre-octobre 2025 (anonymisation partielle)
Cas Australien et Marché Noir
- Australian Criminal Intelligence Commission (ACIC) 2024. "Illicit Tobacco Report 2024" - Données officielles marché noir
- Australian Institute of Health and Welfare (2024). "Smoking rates in Aboriginal communities"
- Pharmacy Guild of Australia (2024). "Vape availability in pharmacies"
- The Royal Australian College of General Practitioners (RACGP) - Données programme vente pharmacie, mai 2025
- Mendelsohn C. (2024). "Australia's vape ban: A public health disaster"
- CityNews (rapports multiples sur attaques incendiaires 2023-2025)
- ABC News (analyses marché noir vapotage 2024)
Marché Noir Européen
- Europol (2024-2025). "Serious and Organised Crime Threat Assessment" - Section produits nicotiniques, flux illicites
- OLAF (Office européen de lutte antifraude) 2024. "Annual Report 2024" - Saisies et produits non conformes
Impact Environnemental
- OCDE (2024). "E-cigarette waste and batteries: costs, collection systems, and policy options" - Analyse quantitative déchets et filières
Médias Spécialisés
- VapingPost.com - Actualités internationales du vapotage
- JeSuisVapoteur.org - Information et défense des droits des vapoteurs
- Taklope.com - Tests et analyses produits
- ECigIntelligence - Analyses réglementaires et marché
- Reuters, Euractiv, Politico - Couverture politique UE
Organismes de Référence
- CDC (Centers for Disease Control and Prevention) - NHIS 2021, 2024
- U.S. Food and Drug Administration - Tobacco Product Marketing Orders
- Cancer Research UK
- Consilium (Conseil de l'UE)
Article rédigé en octobre 2025
Dernière mise à jour des données : 12 octobre 2025
Sources vérifiées et actualisées le 12 octobre 2025